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Procès de l’attentat de Nice : de deux à quinze ans de prison requis contre les huit accusés

Les avocats généraux se sont relayés, mardi, durant près de dix heures, pour démontrer ce qu’ils estiment être les responsabilités des huit accusés de ce procès, dont trois poursuivis pour association de malfaiteurs terroriste.

Un réquisitoire tortueux de plus de neuf heures. Les avocats généraux du Parquet national antiterroriste (Pnat) ont réclamé, mardi 6 décembre, en fin de journée, des peines allant de deux à quinze ans de prison, à l’encontre des huit accusés jugés au procès de l’attentat de Nice, qui a fait 86 morts et plus de 400 blessés le 14 juillet 2016. Sept d’entre eux – le huitième est absent – comparaissent devant la cour d’assises spéciale de Paris depuis le 5 septembre.

Pour les trois principaux accusés, poursuivis pour association de malfaiteurs terroriste – Ramzi Arefa, Mohamed Ghraieb et Chokri Chafroud – la peine maximale de 15 ans de prison a été requise. Mais l’avocat général Jean-Michel Bourlès a toutefois demandé à la cour d’assises spéciale de Paris de ne pas retenir la qualification « terroriste » pour Ramzi Arefa, à qui il est reproché d’avoir joué un rôle d’intermédiaire entre l’auteur de l’attentat, Mohamed Lahouaiej Bouhlel, et les fournisseurs d’armes.

Ces peines ont été requises au terme d’un réquisitoire qui s’est finalement étalé tout au long de la journée. Les trois avocats généraux ont tenu à s’adresser, en premier lieu, « à toutes les victimes », autant « à celles qui ont mis entre parenthèses leur vie pour ce procès », qu’« à celles qui ont préféré se tenir loin de l’enceinte judiciaire ».

« Ce que nous souhaitons simplement dire [aux victimes] dans le cadre de ce réquisitoire, c’est notre infinie compassion pour leur souffrance. »

Alexa Dubourg, avocate générale

dans ses réquisitions

« Nous avons entendu la détresse, nous l’avons vue », a poursuivi l’avocate générale, en référence aux récits déposés à la barre pendant cinq semaines par les parties civiles. Alexa Dubourg a également tenu à souligner « la singularité de l’horreur » de la course meurtrière du Tunisien Mohamed Lahouaiej-Bouhlel au volant de son poids-lourd, qui a frappé « des familles » rassemblées sur la Promenade des Anglais, tuant 15 enfants et adolescents. « 4 min 17 auront suffi à faire 86 morts, et combien de victimes collatérales… », a-t-elle résumé.

L’avocate générale est aussi revenue sur les autopsies judiciaires, qui ont traumatisé des familles de victimes. « Il aurait fallu recueillir le consentement des familles pour qu’elles sachent, prendre le temps de leur expliquer », a-t-elle lancé avec un ton qui se veut réconfortant et se disant « désolée » au « nom de l’institution ». « Dans un procès de cette dimension il était évident que les victimes n’allaient pas entrer sur la pointe des pieds. On aura passé presque plus de temps à les entendre qu’à étudier les charges des accusés, mais c’est normal », a-t-elle poursuivi, avant de parler des huit accusés, qui « ne sont pas là parce qu’on a cherché des boucs-émissaires », mais bien parce que l’accusation « a estimé qu’il existait des charges suffisantes pour un procès ».

« Mohamed Lahouaiej-Bouhlel aurait-il commis ces faits s’il n’avait pas eu ces armes ? Nous avons la certitude que non », a ainsi poursuivi sa collègue Rachel Lecuyer, chargée, de son côté, de détailler l’implication des cinq accusés renvoyés pour des infractions de droit commun dans le volet armes. Dès lors, ceux qui les ont fournies ont « leur part de responsabilité dans cet attentat », a estimé cette avocate générale. « Ils ont en effet contribué à ce processus dans lequel l’arme n’est pas qu’un accessoire », a-t-elle insisté.

« Des stupéfiants aux armes il n’y a qu’un pont et des armes au terrorisme qu’un tout petit ponton. »

Rachel Lecuyer, avocate générale

dans ses réquisitions

Ainsi, à l’encontre des cinq accusés, dont quatre Albanais, le Pnat n’a eu de cesse de dénoncer leur rôle. Maksim Celaj, par exemple, est désigné par Jean-Michel Bourlès, troisième représentant de l’accusation à prendre la parole, comme « une petite main, un simple exécutant certes, mais quelqu’un qui a fait le choix de participer ». « Collaboratrice intéressée », Enkeledja Zace est « présente lors des transactions » autour des armes. Quant à Artan Henaj, son ancien compagnon jugé à ses côtés, Jean-Michel Bourlès « ne lui trouve aucune circonstance atténuante ». « Vendre une arme c’est grave, surtout quand celle-ci a servi dans le cadre d’un attentat le 14 juillet 2016 à Nice », a-t-il estimé, avant de requérir pour les cinq accusés des peines allant de deux ans à dix ans de prison avec interdiction définitive du territoire français pour trois d’entre eux. 

Les réquisitions sont plus complexes en ce qui concerne les trois accusés renvoyés pour association de malfaiteurs terroriste. Tous sont des proches de l’auteur de l’attentat, ils ont « une proximité réelle » avec lui, a souligné l’avocat général. « Ils sont en contact régulier avec Mohamed Lahouaiej-Bouhlel, mais surtout ils parlent de sujets intimes, de sujets personnels et de sujets d’actualité », a continué Jean-Michel Bourlès, pour en venir à la radicalisation du tueur, qui était d’après lui « imprégné de la propagande de l’idéologie jihadiste ». 

« Ils ont tous les trois gravité autour de Mohamed Lahouaiej-Bouhlel, autour d’un soleil noir qui cherchait à tuer. »

Jean-Michel Bourlès, avocat général

dans ses réquisitions

« Il est parfaitement évident qu’il y a des points de convergence idéologique entre Mohamed Lahouaiej-Bouhlel et les accusés renvoyés pour association de malfaiteurs terroriste », a-t-il cherché à démontrer. Selon le Pnat, les trois accusés sont aussi en lien avec le camion du terroriste et son « utilisation mortifère » sur la Promenade des Anglais.

Pour autant, la qualification « terroriste » est écartée pour l’un d’eux. Ramzi Arefa, selon l’accusation, « ne pouvait pas connaître l’évolution et la radicalisation » du tueur de la Promenade des Anglais en raison de ses liens « récents » et moins fréquents avec lui. Alors que pour Mohamed Ghraieb et Chokri Chafroud, qui ont procédé « en connaissance de cause », « le doute n’est pas permis ». « Ils ont agi en connaissant ses discours, sa fascination, sa proximité avec l’Etat islamique et en n’ignorant pas sa capacité à commettre des actes en lien avec son adhésion à l’idéologie radicale ».

En ouvrant le réquisitoire, Alexa Dubourg avait prévenu : « Il y aura des frustrations, c’est inévitable. » L’avocate générale a rappelé qu’« aucun » des huit accusés devant la cour d’assises spéciale ne pouvait être jugé « comme s’il était l’auteur de l’attentat ». En fin de journée, des avocates de parties civiles ont effectivement fait part de leur « déception ». Un sentiment partagé par les victimes qu’elles représentent, à une semaine du verdict, qui sera rendu mardi 13 décembre.


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