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De « Terminator » à « Avatar » en passant par « Titanic », comment James Cameron a repoussé les limites du cinéma

En neuf films, le réalisateur n’a cessé d’expérimenter, en créant des décors démesurés ou en utilisant des technologies inédites, pour construire son immense carrière.

« Le Titanic voudrait qu’on s’en aille. » Assis dans un sous-marin, James Cameron termine la douzième et dernière plongée auprès de l’épave, qui a coulé en avril 1912, nécessaire pour le film. Craquelant, chancelant à plus de 4 000 m de profondeur dans l’Atlantique, le paquebot ne goûte plus trop les « visites » de cette équipe de tournage venue briser la quiétude des fonds marins.

Le réalisateur canadien n’a reculé devant aucun défi pour faire aboutir ses visions : visiter et filmer au plus près l’épave du Titanic en était un, imaginer Pandora, la planète d’Avatar, et les Na’vis, ces créatures bleues, tourner en 3D et en « motion capture » (technique qui permet de recréer virtuellement sur ordinateur les gestes et expressions d’un acteur), en étaient d’autres.

Il revient treize ans après le premier volet avec Avatar : La Voie de l’eau, en salles mercredi 14 décembre. Ses objectifs : faire sauter, à nouveau, la banque, ramener les spectateurs dans les salles de ciné… et repousser encore plus loin l’expérience visuelle. 

Comme la plupart des grands réalisateurs contemporains, James Cameron a pris une claque en découvrant 2001, l’Odyssée de l’espace de Stanley Kubrick et Star Wars de Georges Lucas. Mais son véritable héros n’est pas uniquement cinéaste, c’est un aventurier français : Jacques-Yves Cousteau. « Il représentait mon idéal : un grand aventurier, un écologiste, un ingénieur et un réalisateur », assure-t-il en 2011 dans Le Journal du dimanche. Comme l’homme au bonnet rouge, James Cameron n’a jamais cessé de vouloir étancher sa soif d’inexploré.

Avant de rapporter des millions de dollars à Hollywood grâce à ses films, James Cameron, originaire du Canada, a d’abord obtenu un diplôme de physique à la California State University. « Cette formation d’ingénieur lui permet de savoir ce qu’il peut utiliser comme ressources pour obtenir le dessin dantesque qu’il peut imaginer », explique Rafik Djoumi, journaliste spécialisé en pop culture chez Arrêt sur images et Capture Mag.

Formé chez Roger Corman, fameux producteur de séries B qui a révélé Francis Ford Coppola ou Martin Scorsese, James Cameron apprend à tout faire et à réaliser « des films peu chers mais qui paraissent en coûter le double », analyse le journaliste David Fakrikian, auteur du livre James Cameron, Odyssée d’un cinéaste. Sur Galaxie de la Terreur (1981) de Bruce D. Clark, il cumule les postes de spécialistes des effets spéciaux, de production designer, de réalisateur de seconde équipe et de chef opérateur sur certaines scènes.

Sur ce tournage, il fait admirer son ingéniosité en animant, pour le besoin d’une scène, grâce à des petites décharges électriques, de véritables vers de terre. Quelques années plus tard, après une expérience malheureuse sur Piranha 2 : les tueurs volants, il fait ses premières armes avec Terminator (1984). « Avec ce film, sa volonté est d’anoblir le cinéma d’action, témoigne David Fakrikian. On le prend désormais au sérieux, car il prouve qu’il sait faire un film qui paraît plus cher que ce qu’il a réellement coûté. » Chaque nouveau projet sera ensuite un pas de plus vers la démesure. 

Lorsqu’il ne construit pas une poupée géante pour matérialiser la reine des Aliens, dans Aliens, le retour (1986), James Cameron ne recule devant aucun obstacle pour assouvir ses désirs et sa vision. Pour son quatrième film, Abyss (1989), il réhabilite ainsi une centrale nucléaire désaffectée en Caroline du Sud afin d’y installer son plateau de tournage sous-marin.

Quatre mois sont nécessaires à l’équipe de production pour construire le décor principal du film, cinq jours pour remplir le réacteur inachevé de 28 millions de litres d’eau afin d’obtenir le bassin artificiel de 13 mètres de profondeur qu’il veut, raconte le making-of du film. Mais le pire est à venir comme il l’annonce à son équipe lors du premier jour de tournage : « Bienvenue dans mon cauchemar ».

« Nous savions que ce serait difficile, mais pas que ce serait impossible. Impossible dans le sens où tout échappait à notre contrôle. On était toujours au bord de la catastrophe. »

Gale Anne Hurd, productrice d' »Abyss »

dans le documentaire « Under pressure : The Making of the Abyss »

Les techniciens non vêtus de scaphandre perdent leurs poils, voient leurs cheveux décolorés, sont parfois brûlés en raison d’un surplus de chlore, ajouté car le pH de l’eau n’avait pas été stabilisé. Si le film ne rencontre pas le succès escompté, la prouesse visuelle de certaines scènes retient l’attention. « Les images de synthèse avaient déjà fait leur apparition avant, mais là on est capté car on sent que quelque chose de nouveau est en train de se produire », décrit Rafik Djoumi.

Pour Terminator 2 : Le Jugement dernier, le T1000, un robot qui se régénère dans une texture liquide chromée, est une nouvelle prouesse visuelle, autant que la course-poursuite finale. « Un hélicoptère doit passer sous un pont, mais personne ne veut prendre le risque de filmer depuis une moto, raconte David Fakrikian. C’est finalement James Cameron qui va le faire lui-même. » Pour Titanic, il fait construire au Mexique une réplique du paquebot quasiment à l’échelle, en se basant sur les plans d’origine du navire. « C’est comme si nous avions bâti un immeuble de 75 étages », précise-t-il en décembre 1997 au magazine Première.

Le tournage de Titanic a été pour lui l’occasion d’assouvir sa passion des abysses. Pour les besoins du tournage et des visites de l’épave, avec l’aide de son frère ingénieur, il met au point une caméra capable de résister à la pression des fonds marins pour aller filmer dans les entrailles du monstre de ferraille. « Chaque film de James est un pari et je ne peux même pas imaginer les hiérarchiser en termes de risques », résume Jon Landau, son producteur historique, dans Première. « Si ce n’est pas un défi, ça ne l’intéresse pas », rigole David Fakrikian. Et quand ce n’est pas pour le cinéma, c’est son plaisir personnel qui l’emmène très loin. En mars 2012, il devient par exemple le premier homme à descendre dans la fosse des Mariannes, à 11 000 m de profondeur, à bord d’un sous-marin qui a nécessité huit ans de travail, au point le plus bas de la croûte terrestre.

« J’aime la difficulté. Je suis attiré par ce qui est compliqué, c’est toujours le chemin que je choisis. »

James Cameron, réalisateur

au magazine « GQ »

Mais cette démesure ne lui fait jamais perdre de vue l’émotion, le « moment de contemplation pure », selon Rafik Djoumi. « Titanic, c’est énorme, mais ça se termine avec deux amoureux sur une planche de bois », image le journaliste. « Cet homme s’en ira construire les plus grosses forges de l’univers pour finalement en sortir un papillon de verre », a écrit un jour le journaliste François Cognard, cité par Première.

Forcément, ces visions et cette ambition ont un prix. Qui peut vite enfler. Difficile d’obtenir des chiffres précis sur les budgets engloutis par le réalisateur. Il assurait dans Première que le budget de Titanic avait explosé « de 45% », passant la barre des 200 millions de dollars. Pour la suite d’Avatar, l’addition s’élèverait à 350 millions de dollars, croit savoir The Hollywood Reporter (en anglais). « Ne vous méprenez pas, si ce dont j’ai besoin existe déjà, je préfère l’acheter que le fabriquer. Ce n’est pas par plaisir que je fais tout ça. Mais si cela est nécessaire, alors je m’y mets », assurait-il en 2009 dans Libération (article payant).

Pour sa saga Avatar, il s’est frotté à la 3D et à la « motion capture », obligeant les exploitants à repenser leurs salles pour projeter le premier volet dans les meilleures conditions en 2009. « Robert Zemeckis avait déjà expérimenté la 3D numérique avant lui, mais James Cameron a réussi à formuler la promesse d’une nouvelle expérience au public, analyse Rafik Djoumi. Il arrive à rendre cohérente la technologie parce qu’il la mêle à l’expérience du film. »

Et ça marche. S’il a été crucifié par la presse pour ses tournages catastrophes, James Cameron a toujours ressuscité grâce à ces cartons au box-office. Avatar (quasiment 3 milliards de dollars) et Titanic (2,1 milliards de dollars) sont respectivement le premier et le troisième plus gros succès de tous les temps, assure Première. Une réussite qui n’arrive pas sans douleur.

L’équipe technique d’Abyss avait rebaptisé le film « The Abuse » (L’Abus). Le tee-shirt « Je peux tout supporter, j’ai travaillé avec Cameron » avait son petit succès sur le plateau, racontait Le Figaro en avril 2012. Kate Winslet avait juré après Titanic ne plus vouloir tourner pour lui après avoir failli se noyer lors d’une scène, comme elle le racontait au Los Angeles Times (en anglais)

Finalement, l’actrice britannique a accepté de replonger avec James Cameron 25 ans plus tard avec la suite d’Avatar. Littéralement. Dans une interview à The Hollywood Reporter (en anglais), Kate Winslet assure être restée plus de sept minutes en apnée pour les besoins d’une scène.

James Cameron, aujourd’hui âgé de 68 ans, s’est toutefois assagi. Mais il reste habité par sa mission de pousser le cinéma « vers une autre dimension, jamais tentée jusque-là, en termes d’expérience visuelle », expliquait-il au Parisien en septembre. Avec un autre objectif en tête : décoller les spectateurs de leur service de streaming. Cette suite d’Avatar tombe « au bon moment », selon lui, pour offrir aux spectateurs « une expérience cinématographique totale, sans télécommande pour s’arrêter plusieurs fois, sans être distraits ».

« ‘Avatar’ (…) c’est comme monter dans une fusée qu’on ne pourra pas contrôler. Vous livrer ainsi totalement à un film fait partie de la magie de l’expérience. »

James Cameron, réalisateur

dans « Le Parisien »

Le succès sera-t-il au rendez-vous ? James Cameron a déjà une idée très précise pour que son nouveau long-métrage atteigne son seuil de rentabilité : « Il faudrait en faire le troisième ou le quatrième film le plus rentable de l’histoire du cinéma », prévenait-il dans GQ. Rien que ça. Mais l’homme a montré par le passé que l’impossible ne l’arrêtait pas vraiment et qu’il savait résister à la pression des attentes et des profondeurs.


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