Disparition de Delphine Jubillar : deux ans après, un procès sans aveux, sans corps, ni scène de crime se profile
Malgré les efforts déployés par les enquêteurs, l’infirmière demeure introuvable. Mis en examen, son mari, Cédric Jubillar, clame son innocence. Aucune preuve irréfutable n’a encore été versée au dossier.
Cela a duré six heures. Le village de Cagnac-les-Mines (Tarn) est revenu près de deux ans en arrière, mardi 13 décembre. Il a replongé dans la nuit du 15 au 16 décembre 2020, lorsqu’à 4h09 du matin, un homme, Cédric Jubillar, appelait la gendarmerie pour signaler la disparition de sa femme, Delphine Jubillar. La justice a organisé une reconstitution pour confronter la version du mari, suspect numéro 1 dans cette affaire, avec les constatations de la police scientifique et les témoignages. Mais faute de corps, d’aveux ou d’éléments de preuve irréfutables, comment reconstituer une scène de crime qui n’a pu, jusqu’à présent, être établie ?
Aux yeux des magistrats instructeurs, la mort de cette infirmière, âgée de 33 ans au moment de sa disparition, ne fait pas de doute. Ils ont rapidement écarté la thèse d’un départ volontaire. Delphine Jubillar est décrite par ses proches comme une mère qui n’aurait jamais abandonné, à quelques jours de Noël, ses enfants de 6 ans et 18 mois. Pourtant, les moyens d’enquête colossaux déployés dès les premières heures n’ont pas permis de retrouver sa dépouille. La perspective de la tenue d’un procès sans avoir retrouvé la trace de la disparue se dessine.
« La reconstitution intervient généralement en fin d’instruction », confirme une source judiciaire à franceinfo. A moins d’un rebondissement, il devrait donc s’agir du « dernier acte » d’importance dans ce dossier avant la clôture de l’information judiciaire, qui pourrait intervenir dans les premiers mois de 2023. L’incarcération de Cédric Jubillar, mis en examen pour « homicide volontaire sur conjoint » en juin 2021, contraint les juges d’instruction à ne pas tarder dans leur décision de le renvoyer devant une cour d’assises. Déjà renouvelée à deux reprises, cette détention provisoire, contestée par l’intéressé et ses avocats, atteindra les deux ans l’été prochain.
« Le seul moyen que ne se donne pas la justice dans cette affaire, c’est de prendre le temps. Aucun autre moyen n’a permis d’apporter la preuve irréfutable » de la culpabilité de Cédric Jubillar, regrette un de ses conseils, Jean-Baptiste Alary, qui plaide avec ses confrères pour une remise en liberté, sous contrôle judiciaire.
« Soit on le maintient en détention et l’année prochaine, on aura un procès. Soit on considère que le dossier est insuffisant, et on se donne du temps. »
Jean-Baptiste Alary, avocat de Cédric Jubillarà franceinfo
De leur côté, les parties civiles estiment au contraire que la justice a désormais suffisamment d’éléments en sa possession. « L’absence de corps et d’aveux, ça n’a jamais empêché un procès de se tenir », rappelle Philippe Pressecq, avocat d’une cousine de Delphine Jubillar.
Quels sont les « indices graves et concordants » recueillis par la justice contre le peintre-plaquiste de 35 ans ? Sa version des faits est mise à mal par plusieurs éléments. Le témoignage de son fils contredit l’absence de dispute au sein du couple ce soir-là. A 23h07, une voisine a entendu les « cris stridents de détresse » d’une femme. Ces cris ont été reproduits pendant la reconstitution et, selon les avocats des parties civiles, ils « pouvaient être entendus à 130 mètres de distance sans aucune difficulté ».
La thèse selon laquelle Delphine Jubillar est sortie promener les deux chiens du couple vers 23 heures, comme elle en avait l’habitude, d’après son mari, est balayée par de nombreux témoignages et l’absence de trace olfactive récente de la jeune femme autour de sa maison. De plus, le mis en cause ne parvient pas à expliquer pourquoi les lunettes de son épouse ont été retrouvées cassées dans le salon. L’extinction volontaire du téléphone de Cédric Jubillar entre 22h08 et 3h53, alors qu’il avait affirmé n’avoir plus de batterie, est jugée curieuse, car contraire à ses habitudes. Sa connexion sur le site de rencontres Badoo, alors qu’il est censé avoir été réveillé par les pleurs de sa fille, interroge aussi les juges.
L’étude de la téléphonie et des propos rapportés par l’entourage du couple révèlent par ailleurs que Cédric Jubillar n’acceptait pas le divorce, ni l’amant de sa femme, contrairement à ce qu’il soutient. Sa propre mère a affirmé devant les enquêteurs avoir entendu son fils affirmer vouloir assassiner sa femme : « J’en ai marre, je vais la tuer, je vais l’enterrer, personne ne la retrouvera », aurait-il déclaré, selon elle.
Pour la défense, au contraire, « ce dossier reste mystérieux, sans preuves ». « Tout ce qu’il ressort d’aujourd’hui, c’est la confirmation du vide sidéral de l’accusation », a commenté l’un des avocats de Cédric Jubillar, Alexandre Martin, auprès de franceinfo à l’issue de la reconstitution.
Il est vrai que de nombreuses zones d’ombre persistent. Le téléphone de Delphine Jubillar, dont elle ne se séparait jamais, n’a pas été retrouvé. Après le dernier message envoyé à son amant à 22h58, il a été activé à plusieurs reprises dans la nuit et déverrouillé une dernière fois à 6h52, avant de cesser d’émettre à 7h48. Les dernières expertises ont démontré qu’il n’avait pas quitté le périmètre du domicile conjugal. Ce constat est « accablant » pour Cédric Jubillar, selon les parties civiles.
D’autres analyses, en revanche, sont restées infructueuses. Aucune trace suspecte de sang, de fluide corporel, de nettoyage ou de lutte n’a été découverte dans le pavillon ou dans le véhicule de la victime. Si des témoins soutiennent que la Peugeot 207 a changé de sens et de place de stationnement entre le 15 au soir et le 16 au matin, les avocats de Cédric Jubillar estiment qu’il est matériellement impossible d’y transporter un corps.
Même s’il était finalement retrouvé, ce corps pourrait-il encore révéler des informations déterminantes ? L’ancien procureur général Jacques Dallest, qui portait l’accusation lors du procès de Nordahl Lelandais pour le meurtre de la petite Maëlys, pointe la difficulté de « distinguer les circonstances précises de la mort » quand les restes d’une personne sont très dégradés. Seuls les ossements de la fillette avaient été découverts, six mois après son enlèvement. « Cela empêche de reconstituer le scénario du décès, il faut échafauder une théorie », explique le magistrat, rappelant que le « corps matérialise le crime ».
« Le temps joue toujours en faveur de l’accusé. Les choses se dégradent, les preuves matérielles s’éloignent. C’est une lutte contre le temps. »
Jacques Dallest, ancien procureur général de Grenobleà franceinfo
Nordahl Lelandais a toutefois été condamné à la perpétuité en février. Jacques Dallest cite également l’affaire du tueur en série Patrick Salameh, dont il avait dirigé le début de l’enquête à Marseille. Cet homme de 65 ans a été condamné en appel, en 2016, à la perpétuité pour l’enlèvement et le meurtre d’une lycéenne de 20 ans et de trois prostituées en 2008, alors que les corps des victimes n’ont jamais été retrouvés.
En Occitanie, région où habitait le couple Jubillar, deux autres affaires retentissantes ont été jugées en l’absence de corps. En 2010, le professeur de droit toulousain Jacques Viguier a été acquitté en appel par la cour d’assises de la Haute-Garonne du meurtre de sa femme Suzanne, disparue le 27 février 2000. L’un des avocats de l’ancien accusé, George Catala, n’hésite pas à dresser un parallèle avec l’affaire Jubillar, au micro de France Bleu : « Si Cédric Jubillar va devant la cour d’assises, va se poser le même problème que j’ai connu dans une affaire importante : où sont les preuves ? »
« Jacques Viguier a comparu libre et il s’agissait d’un notable. Cela a eu une incidence certaine sur les deux procès », nuance son confrère Pierre Debuisson, dont le père Guy, ténor du barreau toulousain, représentait la sœur de Suzanne Viguier. Pour le pénaliste, la personnalité et le profil de l’accusé sont d’autant plus scrutés quand ce dernier conteste les faits et qu’il manque un élément aussi important du puzzle que le corps de la victime.
« Cela peut jouer en sa faveur ou défaveur », souligne Pierre Debuisson, qui a défendu la partie civile au procès de Guerric Jehanno, condamné à deux reprises pour le meurtre d’Amandine Estrabaud, une jeune femme de 30 ans disparue en 2013 dans le Tarn. Alors qu’un troisième procès est annoncé, l’avocat retrouve chez Guerric Jehanno, maçon de profession, et Cédric Jubillar, le même « statut social et la même forme de désinvolture et de cynisme ».
« Quand les jurés considèrent que l’accusé est coupable et qu’il refuse de dire où est le corps et de livrer une sépulture, cela devient une circonstance aggravante. »
Pierre Debuisson, avocatà franceinfo
La comparaison s’arrête là. Si Pierre Debuisson considère que la détention provisoire de Guerric Jehanno était « justifiée » au regard des « éléments » du dossier, il s’interroge sur celle de Cédric Jubillar. « Elle risque d’être perçue comme une décision de préculpabilité. Le fait de voir arriver un homme en costume-cravate ou entouré de policiers et menotté n’a pas le même effet sur les jurés », glisse-t-il.
« C’est à se demander si la justice se souvient qu’elle s’est parfois trompée, appuie l’avocat de Cédric Jubillar, Jean-Baptiste Alary. « Personne au monde ne se défend aussi mal qu’un innocent », assure-t-il, invoquant la « maladresse, l’immaturité et le caractère provocateur » de son client. Les parties civiles ne le voient pas du même œil. « Personne ne comprendrait que Cédric Jubillar sorte aujourd’hui avec les charges qui pèsent sur lui », rétorque Philippe Pressecq, objectant un « trouble à l’ordre public intense en raison de la médiatisation » de l’affaire. La possibilité d’une remise en liberté sous surveillance est toutefois à l’étude, a expliqué Alexandre Martin sur France Bleu Occitanie. En attendant son procès, Cédric Jubillar pourrait être assigné à résidence dans un logement loin du Tarn.
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