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Sobriété, boycott, transidentité, éco-anxiété… Votez pour le mot de l’année 2022

Quel est le terme incontournable des 12 derniers mois ? Avant de tourner définitivement la page de 2022, franceinfo vous propose de choisir parmi une sélection de sept mots concoctée avec l’aide de trois linguistes.

La guerre en Ukraine, la réélection d’Emmanuel Macron, les canicules, les sécheresses et incendies de l’été, l’inflation, les pénuries de carburants, la mort d’Elizabeth II, la Coupe du monde de football au Qatar… Ces évènements (et d’autres) ont marqué l’année 2022 et influencé notre vocabulaire. Des mots, nouveaux ou non, se sont imposés dans les débats, allant jusqu’à se faire une place dans notre quotidien. Et s’il fallait n’en choisir qu’un seul ? Quel serait, selon vous, LE mot de 2022 ? 

Pour vous aider à faire un choix, franceinfo a sollicité trois linguistes observateurs des médias, des réseaux sociaux ou des conversations de la rue. Avec eux nous avons établi une liste de sept mots. Une sélection nécessairement subjective mais avec certains critères objectifs. Ainsi nous avons choisi des noms communs utilisés dans le langage courant et non réservés à une sphère (politique, économique, scientifique…). Il y a des mots récemment entrés dans le dictionnaire et des mots bien connus qui sont revenus sur le devant de la scène vêtus d’une nouvelle signification. Prêts ? Votez avec le formulaire en bas de page.

Sobriété 

« La sobriété, c’est la modération, la mesure, la discrétion », explique Sandrine Reboul-Touré, maîtresse de conférence en sciences du langage au Centre de linguistique française. « C’est assez antithétique de notre façon d’être actuelle », estime-t-elle en évoquant les excès et la violence des réseaux sociaux. Et pourtant, la chercheuse est forcée de constater que ce mot est un incontournable de 2022. Face à l’envolée des prix de l’énergie et face au risque de pénurie, le gouvernement a lancé début octobre son « plan de sobriété énergétique ». L’exécutif a ainsi repris à son compte un terme associé depuis le début des années 2000 aux mouvements écologistes : la sobriété comme mode de vie respectueux de l’environnement, en opposition au consumérisme. 

La sobriété « engage à avoir une certaine responsabilité », pointe Sandrine Reboul-Touré. Les Françaises et les Français ont d’ailleurs été invités par différents ministres (portant doudoune ou col roulé) à limiter le chauffage à 19 degrés. Plusieurs associations ont alors rappelé que pour une partie de la population la sobriété est non pas choisie mais subie. C’est ce que l’on appelle la précarité énergétique.

Éco-anxiété

En 2022, le préfixe « éco, qui a le sens d’écologie » est toujours « très vivant » , observe Sandrine Reboul-Touré. « Éco-gestes, écocide, éco-citoyenneté »... La liste est longue mais c’est l’ « éco-anxiété » qui est revenue comme une rengaine ces 12 derniers mois. Un néologisme qui décrit cette angoisse liée à la crise écologique. La canicule de cet été avec des températures dépassant les 40 degrés un peu partout en France mais aussi les sécheresses et incendies ont accentué, notamment chez les jeunes, cette inquiétude face au dérèglement climatique. Certains se sentant impuissants, d’autres choisissant l’action militante à l’image du mouvement Dernière Rénovation ou Extinction Rébellion. « Peut-être y aurait-il moins d’éco anxiété s’il y avait plus de sobriété ? », interroge, non sans ironie, la linguiste.

Guerre

« La guerre, il y en a toujours, il y en a toujours eu, il y en a partout. Mais le fait qu’elle soit en Europe, pour la France, c’est devenu quelque chose de très, très concret », observe Médéric Gasquet-Cyrus, linguiste à Aix-Marseille Université. Il fait évidemment référence à la guerre en Ukraine, déclenchée le 24 février 2022 par la Russie. Un mot qui s’est, dans notre pays, rapidement imposé dans les médias et les déclarations politiques. « On n’a pas tergiversé », observe Sandrine Reboul-Touré qui rappelle que Vladimir Poutine « soutient mordicus qu’il s’agit d’une ‘opération militaire' ». Ici, le choix des mots est, selon la linguiste, le reflet « d’un point de vue » : la France soutient l’Ukraine et lui envoie même du matériel militaire. Mais il y a tout de même « une ambiguïté », estime Médéric Gasquet-Cyrus. « Est-ce que nous sommes en guerre ? Est-ce que la guerre n’est que là-bas ? Il y a une tension autour de ce mot. »

Boycott

Si l’on vous dit boycott, vous penserez probablement au boycott de la Coupe du monde de football au Qatar. Avant le début de la compétition le 22 novembre dernier, sportifs, politiques, intellectuels ou artistes avaient appelé à ne pas suivre les matchs, dénonçant notamment les morts sur les chantiers et le bilan carbone désastreux de l’évènement. Mais l’audience des matchs à la télévision prouve que cet appel à la résistance n’a pas été massivement suivi. « C’est un mot qui clive beaucoup », résume Médéric Gasquet-Cyrus. « Il est vu par certaines personnes comme une forme de snobisme ou de moralisation déplacée qui gêne un petit peu le bon fonctionnement et le bon déroulement des choses ».

Le terme boycott trouve son origine dans la révolte au XIXe siècle de fermiers irlandais contre Charles Cunningham Boycott, un gestionnaire anglais qui les avait expropriés. Une action collective qui leur permit de reprendre la main sur leurs terres. Près de 140 ans plus tard, Médéric Gasquet-Cyrus constate que face au Qatar ou aux sponsors du Mondial, « le rapport de force est plus compliqué à mettre en place ».

Visio

En 2022, beaucoup de mots liés au Covid-19 « que l’on n’utilisait pas du tout avant la crise sanitaire sont restés, complètement intégrés » à notre quotidien, explique Célia Schneebeli, maîtresse de conférence en linguistique à l’Université de Bourgogne. Parmi eux, la spécialiste du discours numérique retient surtout « visio », qui s’est imposé « dans le domaine de l’éducation » mais aussi de l’entreprise, le télétravail n’ayant pas disparu avec la fin de l’état d’urgence sanitaire. Une pratique qui ne se limite pas « à une catégorie d’âge », affirme Célia Schneebeli : « Quand on prend un rendez-vous chez son médecin, maintenant, on a parfois la possibilité de faire la visio ».

La pandémie continue d’influencer notre vocabulaire et notre mode de vie, estime la linguiste. À titre d’exemple, l’Oxford english dictionnary a élu comme mot de l’année « Goblin mode », grâce au vote des internautes, soit  » le fait d’être cloîtré chez soi, de ne plus tellement se confronter au monde extérieur, c’est l’image du gobelin qui reste dans sa caverne ». Selon Célia Schneebeli, cette expression traduit l’effet à retardement « des confinements, de la crise sanitaire, de la peur aussi de se contaminer ». En France, on avait parlé de « syndrome de la cabane » ou plus récemment d’une « épidémie de flemme ».

Transidentité

En terme d’innovation linguistique, les « problématiques sociétales » ont « drainé pas mal de nouveautés lexicales », affirme Célia Schneebeli.  « Par exemple, le terme transidentité entre dans le Robert [qui la définit comme l’identité de genre des personnes trans]. Je pense que c’est assez important de le noter, ce sont des problématiques qui étaient peu évoquées il y a encore quelques années et dont on parle beaucoup plus maintenant. » 

Il aura d’ailleurs fallu attendre le 1er janvier 2022, pour que l’OMS retire la transidentité de sa classification internationale des troubles mentaux. Un geste symbolique fort mais insuffisant, ont réagi certaines associations qui regrettent que les parcours de transition, notamment en France, soient encore souvent accompagnés d’examens psychiatriques.

Sororité

Cinq ans après le mouvement Meetoo, la « dynamique féministe » est toujours à l’œuvre, se réjouit Sandrine Reboul-Touré. Et selon la linguiste, c’est le mot « sororité » (du latin sorore, sœur), « la solidarité entre les femmes » qui l’incarne le mieux. « Ça me fait penser aux droits de l’homme, poursuit-elle. Auparavant, on disait tout sereinement les droits de l’homme et on a transformé la dénomination en question en droits humains parce qu’on aimerait que ça puisse couvrir hommes et femmes et que ce soit moins orienté d’un côté [masculin], qui est un petit peu toujours le même dans des sociétés patriarcales. » « J’ai même entendu Liberté, Egalité, Sororité », s’enthousiasme Sandrine Reboul-Touré.

« C’est vraiment de la solidarité, de la sororité », déclarait par exemple l’actrice et productrice Julie Gayet sur franceinfo le 5 octobre dernier alors qu’elle avait, comme d’autres actrices françaises, coupé une de ses mèches de cheveux pour soutenir le mouvement de révolte des femmes iraniennes.


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