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REPORTAGE. De Santos à Sao Paulo, sur les traces du roi Pelé : « Ces moments ne s’effaceront jamais »

Pelé est mort, jeudi 29 décembre 2022, mais pour ses admirateurs, il y a longtemps qu’il était éternel. En 2014, alors que le Brésil accueillait la Coupe du monde, notre reporter s’était rendu à Santos, là où le roi a bâti sa légende. Il avait rencontré d’anciens coéquipiers, des fans de toutes les générations qui témoignaient de leur admiration. Mais aussi des Brésiliens qui entretenaient une relation plus ambiguë, parfois sévères avec leur roi.

Si Pelé est devenu roi, c’est parce que Santos l’a couronné. Santos, son royaume. Une vile populaire de 400 000 habitants, à une heure de route de Sao Paolo. Ici, le récit des exploits de Pelé se transmet de génération en génération. « Mil gols ! Mil gols ! Mil gols ! » Un chant, le même depuis le 19 novembre 1969. Ce jour-là, le monarque du ballon rond assoit sa légende en marquant son 1 000ᵉ but sur un penalty au Maracana.

« Il représente tout. C’est un roi. Le roi Pelé, souffle Gabriel, 14 ans, supporter, adorateur. C’était un extraterrestre. Il était à un autre niveau. Il doit être venu d’une autre planète. » Gabriel n’a pas l’âge d’avoir vu Pelé dans un stade. « Mon grand-père m’a montré des vidéos pour raconter des histoires sur Pelé et il disait que c’était un génie. Mon grand-père n’avait pas besoin de voir l’équipe gagner. Pour lui, juste de voir jouer Pelé, c’était sensationnel. »

Pelé en 1969 sous le maillot de Santos FC, au stade Vila Belmiro. (PICTORIAL PARADE / ARCHIVE PHOTOS VIA GETTY IMAGES)

Pelé en 1969 sous le maillot de Santos FC, au stade Vila Belmiro. (PICTORIAL PARADE / ARCHIVE PHOTOS VIA GETTY IMAGES)

Dans les gradins de ce stade mythique et un peu décrépi de Santos, il y a José, 79 ans. Ce jour-là, il voit la relève du club gagner son match contre Botafogo. Mais la nostalgie de Pelé est bien ancrée. « Pelé était vraiment humble, du plus petit au plus grand, il traitait chacun de la même façon. Très humble Pelé, très humble ! J’ai eu l’opportunité de voir beaucoup de grands joueurs, mais jamais quelqu’un comme lui. Même pas Maradona, qu’on désigne comme l’un des meilleurs. Pelé est encore numéro un, encore aujourd’hui, il n’y a pas eu de successeur à Pelé. Il était trop parfait ! Son jeu de tête, ses dribbles, il démarrait au quart de tour, marquait tous ses buts. De toutes les manières, il arrivait toujours à marquer des buts ! »

Vila Belmiro, le stade historique de Santos, ici en 2014. Là où tout a commencé pour Pelé. (CARLOS VILLALBA RACINES / EFE VIA MAXPPP)

Vila Belmiro, le stade historique de Santos, ici en 2014. Là où tout a commencé pour Pelé. (CARLOS VILLALBA RACINES / EFE VIA MAXPPP)

« Tu vois, j’ai les larmes aux yeux quand j’en parle. Tu viens de tellement loin pour me parler de Pelé ! Cela veut bien dire que c’était un phénomène. »

José, 79 ans

à franceinfo

Pelé, un technicien de génie qui faisait l’admiration des supporteurs, mais aussi de ses coéquipiers « santistes » comme Abel Filho, l’ancien attaquant. « Je me rappelle une fois quand Pelé a marqué ce but contre Corinthians. Ce ballon partait de gauche à droite. J’étais dans le mouvement, mais lui, il a intercepté le ballon avec un amorti de la poitrine, il a éliminé le défenseur et il a marqué. Ce but a été utilisé dans une publicité. J’ai même été payé pour ça ! Quand on jouait avec Pelé, il fallait être très attentif parce qu’il avait des gestes sur le terrain auxquels personne ne s’attendait. J’ai joué pendant six ans avec Pelé à Santos et j’ai appris à le lire et à décrypter. Il avait cette façon d’anticiper les mouvements de l’adversaire. »

Dans cette équipe de Santos qui a brillé dans les années 60. Il y avait Abel Filho donc, mais aussi « Mané » Maria. Un ami intime de Pelé, « son frère blanc », comme il tient à le préciser. Manoel Maria n’a jamais quitté Pelé. Il l’a même suivi jusqu’aux Etats-Unis pour jouer au New York Cosmos avec lui. Un fidèle, admiratif. Toute sa vie, il a été aux premières loges lors des événements qui ont bâti le mythe Pelé. « Je suis un privilégié parce que j’ai été témoin de ces trois moments qui ont marqué la vie du club et celle de Pelé. Quand Santos a arrêté une guerre civile lors d’un match au Nigeria parce que les gens voulaient voir Pelé jouer, j’étais avec lui, j’ai joué ce match. Et quand on a disputé cet autre match en Colombie et que l’arbitre a expulsé Pelé, alors le public a pratiquement expulsé l’arbitre pour que Pelé revienne. Et bien, j’étais là ! Et quand Pelé a marqué son 1 000ᵉ but, j’étais présent, encore. Ces événements ne s’effaceront jamais. Pelé est celui qui a le plus exporté le Brésil partout. C’est grâce à Pelé que le Brésil s’est fait connaître. Quand on évoquait le Brésil en Amérique du Sud ou en Europe, on pensait que la capitale, c’était Buenos Aires. Mais Pelé a changé ça. C’est la personne qui a le plus aidé à la diffusion du Brésil. »

Pelé, c’est aussi un chanteur. Mané Maria est capable d’en chanter une, sa préférée. Dans cette chanson écrite par le champion, le roi fait le point sur sa vie. Il évoque les critiques. Il confie sa fierté devant le parcours accompli, mais aussi tous ses doutes. Avec sa guitare, il a voulu prendre du recul sur le symbole Pelé, comme pour rappeler au monde entier que derrière le footballeur ultime, il y avait Edson, imparfait, un homme avec ses failles.

Direction le quartier de Vila Madalena à São Paulo. Un quartier plein de vie avec son marché, ses vendeurs de salades. Des airs de samba, des bars à tous les coins de rue, un bar en particulier le São Cristovão. Plus qu’un bar, une institution à São Paulo, un lieu qui attire des touristes du monde entier, un véritable temple dédié à Pelé. Du sol au plafond, il y a des photos du Roi à toutes les époques. Il y a notamment cette couverture de Life. Pelé a été le premier homme noir à faire la une du magazine. Et parmi ces centaines de clichés, Leonardo Silva Prado, le gérant, a sa préférée. Une photo en noir et blanc de poulet, une photo un peu cachée au-dessus du comptoir. « J’aime beaucoup cette photo, là, qui est derrière. Cette photo, c’est quand le Brésil a été champion du monde pour la première fois. En 1958, le Brésil était un pays tellement divisé, indifférent à ce qui se passait dans le monde. Et là, pour la première fois, une équipe latino-américaine gagnait sur un terrain européen, en Suède. Et c’était une équipe avec plein de Noirs. Il y avait aussi Garrincha, un descendant d’Indiens. À ce moment-là, il y avait un débat au Brésil pour savoir si les Noirs et les Indiens pouvaient représenter le pays avec ses qualités, s’il avait la concentration nécessaire, la personnalité. Le caractère suffisant pour gagner. Mais là, pour la première fois, nous Brésiliens, avec nos Noirs, nos Indiens, notre brassage, ça fonctionnait. »

Le bar São Cristovão, haut lieu de la passion du football à São Paulo. Sur les murs, d'innombrables photos, fanions et écussons de foot. Et partout, Pelé, bien sûr. (JEAN-CLAUDE AMIEL / HEMIS VIA AFP)

Le bar São Cristovão, haut lieu de la passion du football à São Paulo. Sur les murs, d'innombrables photos, fanions et écussons de foot. Et partout, Pelé, bien sûr. (JEAN-CLAUDE AMIEL / HEMIS VIA AFP)

Leonardo Silva Prado embrasse du regard les photos dans son bar. Il est intarissable, prêt à se faire prendre la défense d’une idole parfois maladroite. « Pelé a apporté ce qui n’existait pas dans notre football, l’efficacité. Il avait l’envie de gagner et il utilisait tout cet arsenal, les qualités de dribbleurs des Brésiliens, cet art du beau jeu, du joga bonito, mais avec un objectif : marquer le but. Pour moi, Pelé, c’était un félin, un lion, un lynx, un léopard ! Ses gestes, sa posture, il avait cette posture de félin ! Il voulait vaincre ! Pelé représente le sommet du foot brésilien. Mais voilà, le Brésilien a une relation ambiguë avec ses idoles. On les traite mal. C’est vrai que Pelé a commis des erreurs, fait des déclarations maladroites, mais il n’a pas été traité comme il le fallait, comme le grand sportif qu’il était. »

Le Brésil, ingrat envers son roi Pelé, adoré et détesté en même temps, voilà qui résume bien la vie du champion, selon Mauro Naves, une référence chez les journalistes sportifs brésiliens. Il couvre l’actualité du football pour TV Globo, la grande chaîne nationale. Ami intime de Pelé, Mauro Naves se souvient de ces moments qui ont abîmé la légende. « Il y a quelque chose qui a vraiment dégradé l’image de Pelé au Brésil, c’est quand on a découvert qu’il avait une fille illégitime. Il s’est battu en justice pour ne pas assumer sa responsabilité. Les Brésiliens n’ont pas apprécié. Et avant que Pelé puisse faire machine arrière, sa fille est morte. Ça reste une tache indélébile sur son image. »

« La vie d’Edson Arantes do Nascimento, ce n’est pas celle de Pelé. C’était une personne normale à qui on a demandé d’être parfait, d’être bien ordonné. Parce que dans le football, il était vraiment parfait. »

Mauro Naves, journaliste, ami de Pelé

à franceinfo

« Son image hors du Brésil est meilleure, poursuit Mauro Naves. À l’extérieur, les gens voient beaucoup plus Pelé, l’ancien athlète, qu’Edson Arantes do Nascimento. Ici, beaucoup de gens ont critiqué Pelé. Même Romario s’est permis de le critiquer en disant : ‘Pelé, quand il se tait, c’est un poète’. Ça, c’est Romario ! Par exemple, Pelé a été critiqué en 1969 après avoir marqué son 1 000ᵉ but, car sa première déclaration, c’était pour dire qu’il fallait prendre soin des enfants du Brésil. À l’époque, on l’a accusé de faire de la démagogie. Et pourtant, après toutes ces années, ce problème reste d’actualité. Il y a des problèmes avec les enfants et les adolescents au Brésil et lui percevait déjà ça à l’époque. En 1969. »

Pelé, un footballeur célébré, mais un citoyen contesté parfois par ses compatriotes. Reste que sa conscience sociale l’a poussé, une fois raccrochés les crampons, à devenir ambassadeur pour l’ONU et l’Unesco.


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