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SOS Amitié sur le pied de guerre pour la Saint-Sylvestre

Nelson Mandela à qui on demandait un jour quel était le pire aspect de la vie carcérale n’avait pas cité la violence ou la promiscuité, mais l’isolement. « Il n’y a ni début ni fin ; on est seul avec son esprit, qui peut vous jouer des tours », racontait le Prix Nobel de la paix 1993.

Pendant les fêtes, la souffrance peut être encore avivée par la certitude que tous les autres vivent des moments de convivialité. En réalité, ce n’est pas le cas. Les personnes qui passent les fêtes seules sont extrêmement nombreuses. Une enquête Ifop pour Dons solitaires publiée début décembre évaluait leur nombre à 9,5 millions. Il s’agit parfois d’une solitude acceptée ou d’ordre professionnel, comme celle du routier dans sa cabine. Ceux qui appellent SOS Amitié la nuit du 24 décembre (comme dans la célèbre comédie du Splendid) ou la nuit de la Saint-Sylvestre, de leur côté, n’ont rien choisi. Ils subissent.

SOS Amitié entre parfois dans leur intimité mais en ressort en sachant peu de choses sur eux, car l’anonymat est une règle d’or. Deux fois sur trois, l’appelant est une femme, indique la synthèse annuelle 2021 de l’association. Les besoins d’écoute sont en hausse, avec 560 000 appels l’an dernier, soit 39 % de plus qu’en 2020.

Les ennuis volent en escadrille

En 2021, la santé psychique apparaissait comme la cause principale de la moitié des appels (49 %), nettement devant la solitude (31 %). Toutefois, comme le précise Alan Mathiot, écoutant et ancien président, les ennuis volent souvent en escadrille. La « Zézette épouse X » du Père Noël est une ordure existe vraiment. « Une femme téléphone : elle est battue par un compagnon violent, coupée de ses enfants, et elle n’arrive pas à joindre les deux bouts. La totale. »

Les soirs de Noël et de la Saint-Sylvestre apportent leurs lots de souffrance, mais avec une part d’espoir. « Certains appelants nous parlent de leurs bonnes résolutions pour la nouvelle année, explique Catherine Krebs, écoutante bénévole. Ils sont décidés à renouer avec le fils perdu de vue depuis dix ans, ou à prendre enfin rendez-vous chez un psychothérapeute ».

Le drame pour eux se noue avant, poursuit Catherine Krebs. « C’est l’angoisse d’une invitation qui n’arrive pas, ou le manque de moyens pour faire un cadeau… Je me souviens d’une dame, tout juste sortie de soins en psychiatrie, qui allait passer Noël avec des proches. Elle était sans ressources et elle angoissait : pouvait-elle offrir un petit savon ? Était-ce que c’était un cadeau convenable ? »

La détresse psychologique suit souvent comme son ombre un terrible dénuement matériel. Un père de famille, tout juste divorcé, sans logement, passe la nuit de Noël seul dans sa voiture. Ses parents sont morts, ou perdus de vue depuis des années. Un émigré d’Afrique subsaharienne plonge dans la dépression, seul dans la rue, loin de toute sa famille restée au pays, à laquelle il n’osera jamais avouer ses difficultés.

Parfois, ceux qui appellent n’arrivent même plus à parler.Alain Mathiot, écoutant et ancien président

Les bénévoles ne jugent pas, conseillent peu. Créée en Angleterre par un pasteur anglican en 1953, SOS Amitié a pour vocation initiale la prévention du suicide, mais dans le respect de la vie privée. « Parfois, ceux qui appellent n’arrivent même plus à parler, raconte Alain Mathiot. De notre côté, nous pouvons seulement leur poser des questions anodines. Si ça ne vient pas, il ne faut surtout pas insister. »

Désormais, lorsque l’appelant semble vraiment sur le point de passer à l’acte, il peut être réorienté vers un numéro spécialisé, le 3114, habilité à lancer une prise en charge médicale. Être bénévole à SOS Amitié reste néanmoins très exigeant. La charge émotionnelle est intense. L’association aurait besoin de 300 à 500 personnes de plus, mais elle ne transige pas sur la formation. Celle-ci prend des mois et huit candidats sur dix n’iront pas au bout.

Une montée de la colère et de l’agressivité

Martine Loridon était d’écoute le 31 décembre 2020. « Ce n’était pas un soir de confidences trop lourdes », raconte-t-elle. Elle relit son carnet de notes de la nuit. À 1 h 11, une dame bipolaire se raconte. Ça va, elle est stabilisée, elle a sa boîte de chocolats. À 3 h 13, c’est un habitué de la ligne, handicapé physique, passé par des tentatives de suicide, mais par ailleurs volubile. La conversation est animée, chaleureuse.

Désormais, les bénévoles travaillent souvent de chez eux. Les appelants sont touchés de savoir que quelqu’un accepte de rester seul un soir de fête spécialement pour eux.

À LIRE AUSSISuicides : cette baisse massive qui passe inaperçue

Le réveillon 2020 se déroulait sur fond de crise sanitaire. Pendant les périodes de confinement, SOS Amitié a constaté une nette augmentation des propos suicidaires, qui ne s’est heureusement pas traduite en actes. Constat souvent dressé, parler de suicide contribue à le prévenir ! Inversement, raconte Catherine Krebs, quelqu’un de vraiment résolu à en finir va appeler et se montrer calme, serein, déterminé. « Pour ses proches, ce sera terrible, car, dans les jours précédant le passage à l’acte, il aura donné l’impression d’aller bien. »

Si SOS Amitié est un poste avancé d’observation de la société, les signaux actuels méritent sans doute d’être notés. « La colère monte, constate Alain Mathiot. On sent beaucoup d’agressivité, pas contre nous, mais contre la société, le gouvernement… J’ai l’impression d’entendre de plus en plus de personnes poussées à bout par les difficultés de la vie, qui souffrent de la casse sociale et qui n’ont plus d’espoir. » Sous diverses formes, le même propos revient souvent, explique l’ancien président : « Vous allez souffrir comme moi je souffre déjà, mais moi, je m’en fiche, j’ai l’habitude… » Ce n’est pas dit avec jubilation. C’est leur pronostic. »


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