A la Une

De la championne précoce à la chasseuse de records, comment Mikaela Shiffrin est devenue la reine du ski alpin

En remportant le slalom géant de Kranjska Gora en Slovénie dimanche, la skieuse de 27 ans a déjà égalé le record féminin de 82 victoires en Coupe du monde, détenu par sa compatriote Lindsey Vonn.

Des portillons sur les pistes aux tableaux statistiques, elle est devenue maîtresse dans l’art d’exploser tous les temps de passage. A 27 ans, la skieuse américaine Mikaela Shiffrin a égalé le record de 82 victoires en Coupe du monde de sa compatriote Lindsey Vonn lors du slalom géant de Kranjska Gora (Slovénie), dimanche 8 janvier. 

Après cela, il ne lui reste plus que la barre mythique des 86 succès en carrière du légendaire suédois Ingemar Stenmark, établie entre 1974 et 1989, pour prétendre légitimement au titre honorifique de la plus grande skieuse de l’histoire, femmes et hommes confondus.

Les chiffres et ses records donnent le vertige : 51 victoires en slalom pour cette spécialiste, seule athlète à avoir remporté autant de fois une même discipline en 56 ans de Coupe du monde, mais également 129 podiums sur 233 départs pris en onze saisons. « Au-delà de 30 victoires en Coupe du monde, déjà tu te dis que ce n’est pas possible, sourit la championne olympique 2002 de descente, Carole Montillet. C’est juste bluffant.« 

De quoi prétendre à un cinquième gros globe de cristal pour celle qui compte désormais 419 points d’avance sur sa grande rivale, la Slovaque Petra Vlhova, au classement général.

Sa recette ? Une façon de skier tout en douceur, toujours très relâchée. « Mikaela a énormément de finesse sur les skis, confirme sa rivale française Tessa Worley, qui a bataillé pour conquérir les petits globes du géant en 2017 et 2022 face à elle. Elle mise sur son touché de neige et sa science du rythme pour skier dans toutes les disciplines ».

Car ce qui marque le plus chez l’Américaine, c’est sa capacité à pouvoir être dominante sur tous les types de courses. « Je me rappelle d’une descente à Lake Louise en 2017. L’une de ses premières apparitions en vitesse, poursuit la Française. Elle a tout de suite trouvé les clés pour s’imposer sur une course taillée pour les descendeuses. Ça montre toute sa polyvalence et capacité d’adaptation ».

Pourtant, le public français ne la connaît presque pas, en comparaison avec la « Speed Queen » Lindsey Vonn, l’autre légende du ski alpin qui a débuté à Vail (Colorado), à qui on compare régulièrement Mikaela Shiffrin. « Cela tient probablement au fait qu’elle est plus calme, plus renfermée, qu’elle exprime un peu moins ses émotions et fait beaucoup moins le show que ne pouvait le faire Lindsey Vonn », juge la slalomeuse tricolore Nastasia Noens, qui la croise régulièrement sur la piste.

« Mikaela donne une impression de détachement quand elle arrive en bas des pistes alors que la plupart des athlètes seraient en transe. Comme si elle ne se rendait pas compte de ce qu’elle fait, note notre consultante, Carole Montillet. Mais par contre, elle se livre beaucoup sur les réseaux sociaux. Que ce soit dans son couple avec Aleksander Aamodt Kilde [le Norvégien est lui aussi skieur alpin] ou avec l’équipe américaine. Ça, ce n’est pas de la timidité ».

Si le palmarès de Mikaela Shiffrin est aussi bien garni alors qu’elle n’a que 27 ans, elle le doit avant tout à ses deux parents, eux-mêmes moniteurs de ski et qui lui ont fait chausser les spatules de manière précoce. Elle a raflé son premier podium en Coupe du monde avant même la 10e course de sa carrière, puis son premier titre mondial à Schladming (Autriche) en 2013, du haut de ses 17 printemps, avant de devenir la plus jeune championne olympique du slalom de l’histoire à Sotchi (18 ans et 345 jours). 

« Skier dans la génération de Mikaela, c’est un privilège. Le niveau chez les femmes aujourd’hui est très élevé, elle n’y est pas pour rien ».

Tessa Worley, double championne du monde de géant et rivale de Mikaela Shiffrin

à franceinfo: sport

Mais pour la native du Colorado, couvée par son cocon, au point que sa mère, Eileen, soit également sa coach, tout aurait pu s’arrêter en février 2020, lorsque son père, Jeff, est décédé des suites d’un accident domestique. Moment où elle a choisi de se retirer du circuit international pour se préserver.

Aujourd’hui, Shiffrin est de cette génération de champions qui fait tomber la carapace de « l’invulnérabilité » des géants, évoquant sa santé mentale et l’importance d’avoir fait appel à un spécialiste pour l’aider dans son deuil, ou par sa proximité avec Simone Biles ou Caleb Dressel, qui ont également vécu de profonds moments de doute alors qu’ils tutoyaient les sommets.

« Ces trois dernières années, depuis la mort de mon père, j’avais des problèmes de mémoire. Cette année c’est la première fois que je suis capable de me concentrer à ce niveau. C’est revenu, mais ça a mis longtemps« , a expliqué la championne après sa victoire dans le slalom de Zagreb, mercredi 4 janvier.

Après le décès de son père, elle a dû se reconstruire loin des spatules, la faute au Covid-19 en 2020. Pour mieux revenir : quelques mois à peine après sa longue pause, la triple médaillée olympique a montré qu’elle n’avait pas oublié comment briller lors des Mondiaux 2021 de Cortina d’Ampezzo (Italie), empochant quatre breloques, dont un premier titre en combiné.

Une capacité à se reconstruire déconcertante qui lui a de nouveau servi après ses Jeux ratés à Pékin en février 2022, quand la perspective d’une razzia historique a viré au désastre. Une préparation perturbée par une blessure au dos et une contamination au Covid-19, puis l’impensable : un zéro pointé et trois épreuves terminées sur chute, une rareté absolue pour la skieuse du Colorado. « Tout le monde traverse des mauvais jours où il est difficile de garder une attitude positive et vous avez juste besoin de vous asseoir et de pleurer. A part que pour moi, c’est devenu quelque chose de très public, expliquait-elle au magazine Elle en juillet dernier, après ses larmes de Pékin. C’est effrayant, parce que cela montre de la vulnérabilité. Même quand j’étais de toute évidence bonne, je n’avais pas le sentiment d’être si forte, et cela vous met vraiment la tête à l’envers.« 

« Elle a eu des accidents de vie qui n’ont pas été simple à gérer mais cela en fait une athlète encore plus belle. Elle aurait pu sombrer et rentrer dans une spirale négative mais pas du tout, c’est encore plus fort d’arriver à se remobiliser ».

Carole Montillet, championne olympique de descente en 2002 et consultante France Télévisions

à franceinfo: sport

Visée par une vague de haine sur les réseaux sociaux après cet échec, l’Américaine a depuis répondu sur les pistes. « Le prochain objectif, c’est vraiment une histoire d’équilibre, évoquait-elle dans l’émission Outside the Lines, le 11 octobre 2022. Un équilibre entre comment le ski et ma vie peuvent se mener chacun de leur coté et se compléter. Mais parfois, ce n’est plus aussi complémentaire. Cela ressemble plus à me taper la tête sur un mur de briques de temps en temps. Mais on va y arriver. » Et de quelle manière. Mikaela Shiffrin, désormais l’incontestable reine du ski mondial, n’est pas rassasiée malgré ses 82 victoires en Coupe du monde. Et elle n’a que 27 ans.


Continuer à lire sur le site France Info