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RECIT. « On a un parti au bord de la rupture » : comment le PS s’est (encore) fracturé lors de l’élection de son premier secrétaire

Olivier Faure et Nicolas Mayer-Rossignol ont chacun assuré vendredi matin qu’ils avaient remporté le scrutin pour prendre la tête du Parti socialiste, s’accusant mutuellement d’insincérité, après une nuit très mouvementée.

Et le Parti socialiste replongea dans la crise. Après les congrès plus que houleux de 1990 et 2008, le PS a de nouveau vécu, jeudi 19 janvier, une élection de premier secrétaire plus que chaotique, en amont de son prochain congrès, à Marseille, du 27 au 29 janvier. Vendredi, le sortant, Olivier Faure, et son concurrent, Nicolas Mayer-Rossignol, ont tous deux revendiqué la victoire au terme de ce scrutin, prolongeant l’imbroglio. Communication frénétique, attaques frontales, contestations pléthoriques… Retour sur le déroulement ubuesque d’une élection qui déchire le parti.

Avant ce vote, les ingrédients d’une folle soirée étaient déjà réunis : lors d’un premier scrutin sur les textes d’orientation, le 12 janvier, les différentes écuries avaient dénoncé des irrégularités. Les deux candidats des textes finalistes, Nicolas Mayer-Rossignol et Olivier Faure, s’étaient écharpés sur la majorité atteinte ou non par le second. Chacun s’attendait donc à une nouvelle élection disputée et tendue. Ils n’ont pas été déçus.

David Assouline, soutien de Nicolas Mayer-Rossignol, ouvre le bal dès 17h29. Le sénateur de Paris s’indigne sur Twitter d’« irrégularités massives » depuis 17 heures et le début du vote dans les fédérations (une par département). « Il faut que ça cesse vite », écrit-il. Un communiqué du PS tombe sur le réseau social une demi-heure plus tard, à 17h57 : la direction sortante dénonce une « violente agression physique » et des menaces de mort subies par plusieurs militants devant le bureau de vote de la section d’Elbeuf, en Seine-Maritime, département largement favorable à Nicolas Mayer-Rossignol, maire de Rouen. Ce dernier publie un communiqué en réponse, dans lequel il dénonce « un lien entre l’agression et le scrutin ».

Vers 18h15, lors d’un échange avec les journalistes, le premier de trois points-presse avant minuit, Corinne Narassiguin, proche d’Olivier Faure et numéro deux du parti, « appelle tout le monde au calme » après l’épisode d’Elbeuf. Mais au fil de la soirée, les esprits continuent de s’échauffer. Sur Twitter, chacun relaie les irrégularités que son camp dit avoir constatées durant le vote, qui se tient jusqu’à 22 heures. Les militants s’écharpent sur ces fraudes présumées.

Devant la presse, à 23h15, Corinne Narassiguin assure que « la tendance, qui ne s’inversera pas », donne Olivier Faure majoritaire, et en progression, « proche des 52% » des suffrages, soit une avance nette sur son concurrent. Un score que balaient immédiatement les opposants au premier secrétaire sortant, dans l’attente des résultats officiels. « Il y a eu la même déclaration la semaine dernière, à la même heure, vous connaissez le résultat », explique devant la presse Lamia El Aaraje, lieutenante de Nicolas Mayer-Rossignol.

Deux heures plus tard, depuis le siège d’Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne), Olivier Faure prend la parole dans une courte vidéo publiée sur les réseaux sociaux, à la réalisation sommaire. Il y annonce qu’il est réélu « par un vote clair », sans préciser son score.

Réponse immédiate de son adversaire, à 1h28 : là aussi dans une vidéo sur Twitter, Nicolas Mayer-Rossignol assure qu’il a obtenu « autour de 53% » des suffrages. Deux candidats, deux victoires autoproclamées, mais aucune certitude sur les résultats exacts de ce scrutin qui intervient au soir d’une mobilisation massive contre la réforme des retraites

La nuit n’interrompt pas le pataquès socialiste : la réunion de la Commission nationale d’organisation du congrès, qui doit valider les résultats, capote vers 4h45. Selon les proches d’Olivier Faure, les huit représentants de Nicolas Mayer-Rossignol « ont refusé d’examiner les résultats et ont préféré demander pendant une heure trente la reprogrammation de la commission, avant de partir »« A cette heure-là, ce n’était pas la meilleure façon de vérifier la sincérité du scrutin », réplique Nicolas Mayer-Rossignol l’après-midi suivante.

A l’aube, vendredi, le Parti socialiste a un premier secrétaire réélu. C’est du moins ce qu’affirme la direction du parti, selon laquelle Olivier Faure a obtenu 50,83% et 393 voix d’avance sur Nicolas Mayer-Rossignol (sur 23 759 votants). « Les résultats définitifs seront proclamés à l’issue du vote des délégués du congrès de Marseille », explique le communiqué.

Sans surprise, le camp adverse n’entend pas concéder sa défaite, du moins sans résultats débarrassés des irrégularités qu’il dénonce depuis jeudi soir. A 8h51, Nicolas Mayer-Rossignol dit souhaiter, sur Twitter« que la commission de récolement se réunisse dès cet après-midi, afin de valider le scrutin », en référence à une instance informelle chargée d’examiner les procès-verbaux des élections pour trancher les situations.

C’est sur ce point que se cristallisent les oppositions entre les deux camps : du côté d’Olivier Faure, on estime que la commission de récolement est un usage et non une structure officielle. « Si la commission de récolement s’était réunie cette nuit, ça n’aurait pas été les résultats définitifs », balaie Corinne Narassiguin lors d’une énième conférence de presse, en fin de matinée.

Au cours de cette prise de parole, la direction du parti tente l’opération transparence : pendant une heure et demie, les résultats et les anomalies du scrutin, fédération par fédération, sont énumérés. Ici des adhérents intimidés, là une « boîte à chaussures mal scellée » en guise d’urne pour voter… Sans le vouloir, les responsables des élections au PS font la démonstration de l’organisation confuse du scrutin. 

De son côté, Nicolas Mayer-Rossignol organise une conférence de presse vers 13 heures. Il affirme avoir gagné l’élection « de façon claire », ne pas avoir l’intention de « quitter le navire du Parti socialiste » malgré le contexte et vouloir aller « jusqu’au bout de l’épuisement de toutes les voies de droit pour faire valoir le droit des militants ». Autrement dit, l’opposition interne pourrait se déplacer sur le terrain juridique si le camp d’Olivier Faure ne lui accorde pas le droit à une commission de récolement.

« Ce serait dommage d’en arriver à ces extrémités, mais nous y sommes prêts. »

Corinne Narassiguin, proche d’Olivier Faure

en conférence de presse

Dans cet affrontement à couteaux tirés, il y a une chose que partagent les deux candidats : la certitude que cet épisode, la première crise depuis l’échec cuisant d’Anne Hidalgo à l’élection présidentielle d’avril 2022 (1,75%), représente un grave danger pour le PS. « L’image du parti a été grandement endommagée par la soirée d’hier », reconnaît Corinne Narassiguin devant les journalistes. « Les militants ont plus que la gueule de bois », poursuit Nicolas Mayer-Rossignol à propos d’« un parti au bord de la rupture ».

Corinne Narassiguin a finalement confirmé vendredi soir à franceinfo la convocation samedi à 13 heures d’une commission chargée de procéder au récolement des résultats du scrutin, comme le souhaitait le maire de Rouen. Pour le nouveau premier secrétaire, quel qu’il soit, la tâche du rassemblement est immense après cette élection des plus controversées. 


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