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Guerre en Ukraine : pourquoi les nouveaux chars occidentaux sont stratégiques pour Kiev

La livraison de chars lourds pourrait marquer un tournant sur le champ de bataille, mais aussi dans la dimension de la crise entre la Russie et le camp occidental.

Abrams, Challenger, Leclerc, Leopard… Peu importe le modèle, l’Ukraine réclame désespérément des chars d’assaut à ses alliés occidentaux depuis plusieurs semaines. Avec un chiffre en tête : au moins 300 unités, comme l’a récemment expliqué le plus haut gradé de l’armée ukrainienne, le général Valeri Zaloujny, cité par le New York Times*. « Des centaines de remerciements, ça ne correspond pas à des centaines de chars », a quant à lui amèrement regretté le président Volodymyr Zelensky, lors de la réunion de Ramstein (Allemagne), le 20 janvier, qui n’a pas permis à Kiev d’obtenir l’équipement espéré.

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Le sommet a tout de même débloqué quelques timides donations : la Pologne veut ainsi envoyer à l’Ukraine 14 chars Leopard 2, de fabrication allemande, à condition que Berlin accepte. Varsovie emboîte le pas au Royaume-Uni et ses 14 chars d’assaut Challenger 2 promis à Kiev. Alors que l’Allemagne et la France se font attendre sur la livraison de chars lourds, franceinfo passe en revue les avantages stratégiques que ce type de matériel militaire offrirait à l’Ukraine.

Parce que Kiev a besoin de remplacer ses chars vétustes (ou détruits)

Hormis quelques modèles plus récents, l’Ukraine ne peut compter pour l’instant que sur des chars d’assaut datant de l’époque soviétique. Dans son arsenal, on retrouve notamment le char T-72, lancé dans les années 1970 et réputé pour être le plus vendu à travers le monde. Si les alliés européens de Kiev ont multiplié l’envoi de matériel militaire aux standards soviétiques, c’est parce que l’armée ukrainienne est déjà formée au maniement de ces équipements. La Pologne et la République tchèque, pour ne citer qu’elles, ont ainsi vidé leurs stocks vieillissants et fourni quelque 200 chars T-72S (légèrement plus récents) à leur voisin en guerre.

Mais depuis le début de l’offensive russe, l’Ukraine a perdu plusieurs centaines d’engins. Selon des analystes cités par le magazine américain Forbes*, plus de 330 chars ukrainiens avaient déjà été détruits fin octobre – un bilan très difficile à vérifier de façon indépendante. Si l’Ukraine possède plusieurs milliers de chars (notamment des tanks récupérés après les combats), leur grand âge et leurs performances jugées médiocres font grincer des dents les soldats. Ces derniers réclament des chars plus récents, à la précision de tir plus élevée et bien plus économes en carburant, un atout de taille.

« Les tanks américains Abraham ou les chars Leopard allemands ont un équipement de pointe et ils protègent surtout mieux avec un blindage efficace, fait valoir un soldat ukrainien interrogé par France 2. C’est important pour que je reste en vie. » Cependant, contrairement aux T-72 soviétiques, les chars occidentaux supposent « une formation de quatre à six mois » pour les effectifs concernés, expliquait à franceinfo Stéphane Audrand, consultant spécialisé dans l’armement. Chars britanniques, français, allemands : ce mélange des genres nécessite aussi d’importants moyens et une chaîne logistique solide afin d’entretenir ces véhicules qui ont chacun des caractéristiques propres.

Parce que les Ukrainiens veulent changer de méthode face aux craintes d’une nouvelle offensive russe

La demande de Kiev de nouveaux chars coïncide avec une nouvelle phase du conflit attendue à l’approche du printemps. Il s’agit même « d’une phase décisive de la guerre », a ainsi relevé Jens Stoltenberg, le secrétaire général de l’OTAN. « Aucun des deux belligérants n’arrive à prendre le dessus. Il va falloir reprendre l’initiative, confiait Ulrich Bounat, analyste en relations internationales, à franceinfo. Les Russes se préparent à le faire, et pour permettre à Kiev d’encaisser une offensive russe et de contre-attaquer, il faut bien fournir des armes à l’Ukraine. »

Kiev doit agir rapidement, car d’ici au printemps, « les 150 000 Russes conscrits l’automne dernier auront été entrainés et probablement intégrés dans des unités prêtes pour le combat », note ainsi CNN*. L’objectif de l’armée ukrainienne ne se borne pas à répondre à la Russie. L’envoi de chars occidentaux lui permettrait aussi de lancer une stratégie plus offensive. Les troupes russes « essaient de fortifier cette ligne de front », a expliqué le numéro trois du Pentagone, Colin Kahl, le 19 janvier. L’objectif américain est clair : permettre à Kiev « de changer cette dynamique de défenses statiques en lui donnant la capacité de faire feu et de manœuvrer grâce à l’utilisation de forces plus mécanisées ».

Parce que cela signalerait un soutien renforcé de la part des pays occidentaux

L’envoi de chars d’assaut en Ukraine est aussi une affaire de symbole, montrant que les pays occidentaux sont unis pour aider Kiev. Pour l’instant, les Européens se déchirent sur la question, malgré l’envoi de tanks légers et de nombreuses munitions en Ukraine. Les pays Baltes et la Pologne font ainsi pression sur l’Allemagne pour qu’elle autorise l’envoi de chars Leopard 2 en Ukraine. Berlin n’a pour l’instant pas tranché, mais le chancelier allemand Olaf Scholz avait conditionné un feu vert allemand à l’envoi de tanks Abraham par les Etats-Unis, rapporte Politico*. Une position qui irrite les pays d’Europe de l’Est.

Il faut dire que l’envoi de chars d’assaut, surtout s’il s’agit de matériel aux standards de l’Otan, apparaissait comme une ligne rouge pour certains pays occidentaux au début du conflit. Cette ligne est en train de bouger, selon Ulrich Bounat : « Les Occidentaux prennent en quelque sorte ‘confiance’ dans leur capacité à fournir des armements à l’Ukraine. Même si le Kremlin choisit l’escalade, les Occidentaux seront là pour soutenir Kiev. » Surtout, l’envoi de chars d’assauts à Kiev montrera que l’Ouest « réalise que l’année 2023 doit être décisive pour l’Ukraine », estimait auprès de franceinfo Liana Fix, chercheuse au sein du groupe de réflexion Council on Foreign Relations (CFR). Plus le conflit dure, plus il y a un risque que l’opinion publique n’ait plus envie de soutenir l’Ukraine. »

* les liens suivis d’un astérisque sont en anglais.


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