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Avec Guts, Cuba retourne en Afrique

« Estrellas » de Guts, 2022. © DR

Projet monumental qui a réuni vingt-cinq artistes de générations et d’horizons divers au Sénégal pour y célébrer la musique afro-cubaine, Estrellas traverse à la fois l’espace et le temps, habité par l’envie de réunir ceux que l’histoire a tragiquement séparés. Entretien avec le producteur et DJ français Guts, initiateur et maître d’œuvre d’une aventure hors normes.

RFI Musique : L’album débute par une introduction parlée en espagnol ? Que dit-elle ?
Guts : Nous sommes des poussières d’étoiles, de tous ces ancêtres qui ont traversé l’Atlantique. Le sens profond de cet album est d’avoir fait revenir Cuba à Dakar, la porte de sortie la plus à l’ouest de l’Afrique, d’où partaient les esclaves à l’époque du commerce triangulaire. Jamais aucun artiste cubain n’avait eu la chance, l’opportunité d’enregistrer à Dakar. Donc, c’est une première dans l’histoire de la musique.
Et Ultima Llamada, qui suit l’introduction, veut dire “dernier appel” – comme le dernier appel quand tu es dans un aéroport. On s’est imaginé que c’était le dernier appel pour ces ancêtres, forcés de traverser l’Atlantique, cette tristesse absolue, ce drame, cette partie obscure de l’histoire.

Quel était le projet initial ?
L’idée initiale était d’enregistrer un album à Cuba où je suis allé plusieurs fois. Au début, il n’était pas axé sur l’héritage afro-cubain. Avec la pandémie, on s’est rendu compte que ça allait vraiment être injouable.
Donc avec tout mon bagage au Sénégal, où j’ai travaillé avec Youssou N’Dour, avec tous mes réseaux là-bas, pourquoi n’irais-je pas rendre hommage à cette musique afro-cubaine que je joue dans mes DJ sets et qui me fait vibrer ? Pourquoi ne pas emmener les Cubains à Dakar ? Évidemment, c’était une idée complètement folle. Mais je n’en ai pas démordu. Les faire venir a été le challenge le plus dur à relever dans ce projet-là ! Et quand j’ai réussi, pour moi, il était abouti alors qu’on n’était pas encore entrés en studio !

Une partie des effectifs sur cet album est constituée de vos acolytes habituels en France, mais comment avez-vous construit la partie cubaine de l’équipe ?
Je voulais absolument travailler avec un pianiste : Cucurucho Valdés, le neveu de Chucho Valdés. Des trois ou quatre grands pianistes cubains, c’est peut-être le moins connu, mais il me touche tellement ! Je suis allé le voir en premier et il a validé l’idée. Ça m’a donné l’élan pour continuer. Ensuite, j’ai construit autour, avec Brenda Navarrete, une chanteuse charismatique assez connue à Cuba, le rappeur El Tipo Este dont on avait produit un album, et des artistes undergrounds comme cette chanteuse incroyable Akemis Carrera, dans la tradition yoruba, et José Castro Padilla, un papy chanteur de Santiago de Cuba.

Et la partie africaine ?
Ma première idée, évidemment, c’était Orchestra Baobab, le groupe mythique de musique afro-cubaine qui m’a inspiré. Ce n’est plus la version originale, mais il reste encore quelques anciens. J’ai réussi à avoir trois de ses membres – le guitariste René Sowatche et deux chanteurs, Alpha Dieng et Assane Mboup – et à retrouver un peu de l’âme du Baobab grâce à eux.

Avec quelle matière êtes-vous parti à Dakar ? Aviez-vous des idées précises ?
J’étais tellement accaparé par ces histoires de logistique, d’organisation, ça m’a pris tellement de temps et d’énergie que j’ai fait la partie créative avec beaucoup plus de légèreté que je me l’étais moi-même imaginé ! Je me suis dit qu’on allait faire une moitié de compos et une moitié de reprises. Pour les reprises, je suis allé chercher des morceaux afro-cubains rares pour leur donner une nouvelle vie.
Pour les compos que j’ai faites avec mes copains de France – Pat Kalla, Cyril Atef, David Walters… –, je sentais qu’il valait mieux arriver à Dakar avec des idées simples, car elles allaient exploser une fois en studio, avec cette énergie puissante et créative, cette alchimie dans laquelle on allait être pris. Et c’est exactement ce qui s’est passé.

Est-ce pour cela qu’il y a dix-huit titres, soit presque 90 minutes, sur cet album, répartis en deux CD et 3 LP ?
Au début, je me suis fait plaisir. Je pensais enregistrer seize ou dix-sept titres dont j’aurais conservé les douze ou treize les plus réussis. Figurez-vous que j’ai tout gardé, à l’exception d’un morceau. Je n’aurais jamais imaginé que la magie allait réussir chaque jour, sur chaque morceau. C’est pour ça qu’il y a autant de matière.

Que dites-vous aux musiciens et chanteurs au moment de commencer un nouveau morceau en studio ?
Je leur dis à chaque fois qu’aujourd’hui, on est là pour l’éternité et, en même temps, c’est le dernier jour de studio. Aujourd’hui, on va raconter une dernière histoire. Aujourd’hui, on a la chance d’être ensemble et de pouvoir raconter ensemble, de pouvoir vibrer ensemble.

Que raconte le tracklisting d’Estrellas ?
On sent bien qu’il y a une nette dominance cubaine au début. Puis Cuba retourne en Afrique et la musique s’africanise de plus en plus au fil de l’album. Elle se modernise aussi de plus en plus puisque vers la fin il y a des morceaux plus récents, plus hip hop, un peu funky… Il y a à la fois un héritage musical et un espace-temps. Tout cela crée une histoire.

Guts Estrellas (Pura Vida Sounds / Heavenly Sweetness) 2022
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