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2022, l’année de L’Entourloop ?

Situé dans la zone frontalière entre le reggae et le hip hop, le répertoire de L’Entourloop est un savant mélange hérité de la culture mixtape et des sound systems jamaïcains, le tout habillé de références cinématographiques dans un univers décalé. Porté par son nouvel album oxymorique La Clarté dans la confusion, le collectif de beatmakers basé en France fédère autour de lui et fait désormais partie des références en la matière.

Sur la scène installée entre les vieux murs du fort Saint-Père, près de Saint-Malo dans l’ouest de la France, l’organisateur du festival No Logo BZH prend la parole pour prévenir le public, alors que la légende jamaïcaine du reggae Burning Spear vient de terminer son show : en raison d’une très longue coupure d’électricité et du retard consécutif, les spectateurs qui devaient repartir avec les nombreux cars affectés au transport ne pourront malheureusement pas assister au concert de L’Entourloop en clôture de la soirée. Il est plus de deux heures du matin en ce chaud début du mois d’août 2022, et une large majorité des quelque 7 000 personnes décide de rester sur place pour assister à la prestation finale visiblement très attendue.

Trois semaines plus tôt sur la Côte d’Azur, au festival des Nuits du Sud à Vence où ils étaient près de 4 000 à avoir fait le déplacement, L’Entourloop a clairement volé la vedette ce soir-là à Groundation, poids lourd de la scène reggae internationale.

S’il fallait d’autres signaux pour être définitivement convaincu qu’il se passe quelque chose avec cette formation stéphanoise plébiscitée, en voici : près de 60 concerts depuis huit mois – sold out pour nombre d’entre eux –, dont une quinzaine hors des frontières de l’Hexagone ; une entrée surprise dans le top 10 des ventes d’albums pour La Clarté dans la confusion ; une fan base internationale dont on prend la mesure sur leurs réseaux sociaux, en Europe ainsi qu’en Amérique latine… Le tout sans le soutien d’aucun acteur de premier plan de l’industrie musicale. L’histoire rappelle l’émergence de formations phares du reggae à la française, comme Danakil ou encore Dub Inc, voisins de studio de L’Entourloop et modèle en termes d’indépendance et de développement réussis.

L’Entourloop casse les codes

Au-delà de ces similitudes, la formule artistique de ce collectif, qui explique en partie son succès, casse les codes habituels. Sur la forme autant que le fond, défini comme du « hip hop inna yardie style » (hip hop à la jamaïcaine, NDR). En live, deux (trop ?) vaillants « papys », tels que les nomment leurs complices, sont aux platines.

De Sir James et King Johnny, particulièrement agiles avec leurs machines, mais cachés derrière lunettes de soleil et couvre-chefs, on ne saura pas grand-chose hormis qu’ils ont été « élevés au bon grain depuis 1964 » selon la biographie officielle. De temps à autre, l’un se déplace avec un panneau sur lequel est écrit par exemple « applaudissez » tandis que l’autre vient montrer ses talents de scratcheur.

Devant eux, le trompettiste N’Zeng, ex-Peuple de L’herbe, et le chanteur bermudien Troy Berkley, aussi à l’aise avec la culture urbaine new-yorkaise que le dancehall jamaïcain, ajoutent leurs touches aux morceaux. Depuis cette année, un troisième larron les a rejoints : le Néerlandais Blabbermouf, figure du hip hop européen et vu par la bande comme une « pile électrique ». Derrière, un écran projette des images soigneusement montées, détournées, parfaitement calées sur ce qui se passe sur scène, avec pour effet de démultiplier l’énergie qui s’en dégage.

L’Entourloop est un concept qui dépasse la seule musique, avec un univers singulier, où la technologie sert un côté rétro revendiqué, notamment sur l’habillage sonore, avec ces bribes de mots, de répliques piochées ici et là. “Je suis collectionneur de disques qui parlent : comment passer l’aspirateur ? comment bien prendre l’avion ? comment se soigner avec les plantes ?”, reconnait Thomas, l’un des protagonistes, cofondateur du projet qui réunit aujourd’hui sept membres « sur un pied d’égalité ».

Lui vient « plus des compétitions de scratch, d’autres des sound systems », précise-t-il. Des influences « variées » – au rang desquelles on ne saurait faire l’économie de mentionner Chinese Man qui évolue dans un registre proche avec en commun un goût prononcé pour le sampling. « Au début, c’était proche d’un DJ set, avec trois ou quatre platines », poursuit-il. Très vite, au fil des rencontres, les expériences et connaissances des uns et des autres s’agrègent, et l’équipe de beatmakers se met à produire intensivement en proposant ses morceaux à des chanteurs et rappeurs compatibles avec leur vision musicale, où qu’ils soient sur la planète. Le réseau s’élargit.

Bonne réputation

Un premier EP sort en 2015, Chickens in Your Town (allusion au Best Dressed Chicken in Town du Jamaïcain Doctor Alimantado ?), mais c’est surtout l’année suivante le single Dreader Than Dread avec le Jamaïcain Skarra Mucci très actif en Europe qui permet à L’Entourloop de franchir un palier en termes de visibilité, confirmé dans la foulée par l’album Le Savoir Faire.

Depuis, l’ascension s’est poursuivie, avec entre autres un remix du reggae Li Sem, sorti la première fois en 1996 à La Réunion, que son interprète originelle, Jessica Persée, partage désormais avec Flavia Coelho, Bouchkour de Dub Inc, et Lidiop. Car aujourd’hui, la donne a changé et la réputation acquise par le collectif le place dans une autre position. « Maintenant, les artistes viennent vers nous », observe Thomas.

Pour La Clarté dans la confusion (phrase qui clôt une démonstration alambiquée de l’acteur Charles Denner dans le film L’aventure c’est l’aventure de Claude Lelouch), pas moins de 31 intervenants sont recensés ! Français, Jamaïcains, Italien, Espagnols, Sud-Africain, Guinéen, leurs voix s’agencent dans un esprit mixtape sur les vingt morceaux. D’Alborosie à Dope Saint-Jude, de Manudigital à Lyricson en passant par le vétéran Ken Boothe ou le roi du reggae hip hop Bounty Killer, la liste impressionne. Au point de faire oublier le caractère mystérieux à certains égards de L’Entourloop (le mot exact n’est-il pas synonyme de tromperie ?) et de ceux qui le constituent. « Tu aimes la musique ? Alors ne te pose pas de questions », aiment à dire ses membres. Qu’importe au final l’éventuelle illusion si le charme agit !

L’Entourloop La clarté dans la confusion (X-Ray Production) 2022
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