Sciences

Dérèglement climatique : le grand basculement

Croyez-nous, nous serions les premiers à nous réjouir de bonnes nouvelles. Comme sœur Anne, nous scrutons l’horizon sans voir venir quoi que ce soit ! La prestigieuse revue Science vient encore de nous asséner un coup de bambou avec une étude recensant le nombre de points de basculement climatique (tipping points) prêts à entrer dans la danse. Avec cette expression, les climatologues désignent un seuil qui, une fois franchi, déclenche un phénomène irréversible, sans retour possible en arrière, et des réactions en chaîne catastrophiques.

On n’en est pas encore là, dites donc ! Eh bien, si ! Selon cette étude dirigée par David Armstrong McKay, de l’université d’Exeter, la hausse actuelle de 1,07 °C par rapport à l’ère préindustrielle a déjà déclenché cinq points de basculement. Nommons-les : la fonte du pergélisol dans le Grand Nord avec un dégagement énorme de méthane qui accélère encore le réchauffement, la fusion des deux calottes glaciaires du Groenland et de l’Antarctique occidental, le dépérissement des récifs coralliens tropicaux et, enfin, moins connu, le ralentissement de la convection océanique en mer du Labrador.

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Pour effectuer l’inventaire des points de basculement, l’étude en question a compilé plus de 200 travaux scientifiques publiés depuis 2008. Résultat : 16 points de non-retour ont été identifiés. Ils se déclenchent avec la hausse de la température. Quand celle-ci atteindra 1,5 °C, dans une poignée d’années, alors cinq autres points de basculement seront probablement franchis : la fonte de la banquise en mer de Barents (au nord de la Russie et de la Finlande), la disparition des glaciers de montagne, le ralentissement de la circulation thermohaline atlantique et, enfin, la forêt boréale (15 millions de kilomètres carrés) devrait à la fois voir dépérir sa lisière sud et s’étendre sa lisière nord (compte pour deux points de basculement).

Provoquer une onde de choc

L’affaire est donc, a priori, pliée pour dix points de basculement. Maintenant, si la température terrestre poursuit sa terrible ascension pour atteindre entre 2,1 et 3,5 °C d’ici à 2100, très probable si l’humanité ne se donne pas un sérieux coup de pied au derrière, alors quatre autres points de basculement seront dans les starting-blocks : une aggravation de la violence de la mousson au Sahel et en Afrique occidentale, entraînant des inondations mortelles, la fonte des bassins sous-glaciaires de l’Antarctique de l’Est, une contraction de la forêt amazonienne et un effondrement total du pergélisol boréal.

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Il va sans dire que le franchissement de ces quatorze points de basculement engendrera non seulement de gros soucis pour les espèces humaines et animales, mais décuplera encore le réchauffement. Si jamais la hausse atteignait 5 °C, deux points de basculement supplémentaires pourraient s’enclencher : la fonte totale des glaciers flottants de l’Antarctique et celle de la calotte glaciaire de l’Antarctique de l’Est.

En dressant l’inventaire des grosses menaces planant sur notre avenir climatique, les signataires de cette étude espèrent surtout provoquer une onde de choc salutaire. Il faut absolument se reprendre en main pour espérer freiner le dérèglement climatique. Respecter le protocole de Paris qui limiterait la hausse à 2 °C est le minimum que l’humanité pourrait faire. Mais cela réclame une division par deux des émissions de gaz à effet de serre dans les sept ans à venir, et leur suppression totale d’ici à 2050. Objectif totalement irréel au vu des efforts actuels. Alors, comme sœur Anne, il ne reste que nos yeux pour pleurer.


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