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Un cas de pantouflage dans l’industrie de la pêche fait polémique

La fonctionnaire chargée des négociations internationales pour le thon a été engagée par le principal lobby pro-pêche, dénonce l’association Bloom.

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Anne-France Mattlet, qui etait jusqu'en mars dernier negociatrice des accords de peche pour la France, dans l'ocean Indien, a rejoint le lobby Europeche (Association des organisations nationales d'entreprises de peche de l'UE) pour prendre en charge la strategie thoniere.
Anne-France Mattlet, qui était jusqu’en mars dernier négociatrice des accords de pêche pour la France, dans l’océan Indien, a rejoint le lobby Europêche (Association des organisations nationales d’entreprises de pêche de l’UE) pour prendre en charge la stratégie thonière. © GUY PETERSON / AFP

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C’est un conflit sans merci qui oppose depuis des années, la pêche industrielle dans l’océan Indien aux écologistes effarés par une surpêche qui décime les multiples espèces de thons, dont l’albacore, le germon, le big-eye, la bonite à ventre rayé… Avec une dizaine de navires thoniers, capturant quelque 100 000 tonnes de thons par an, la flotte française est en première ligne.

Aujourd’hui, l’association Bloom fondée en 2004 par la journaliste-cinéaste Claire Nouvian, ouvre le feu sur l’ennemi en dénonçant auprès du procureur de la République un cas pantouflage illégale. Il concerne Anne-France Mattlet qui était jusqu’en mars dernier, négociatrice des accords de pêche pour la France, dans l’océan Indien et qui a rejoint le lobby Europêche (Association des organisations nationales d’entreprises de pêche de l’UE) pour prendre en charge la stratégie thonière. Ce transfert du public dans le camp des lobbyistes pro-pêche rend furieuse Claire Nouvian : « C’est parfaitement illégal. Le délai de latence de trois ans n’a absolument pas été respecté. Au-delà de ce cas, nous voulons dénoncer la corruption morale existant entre les autorités chargées de faire respecter les quotas européens et les pêcheurs industriels qui profitent de dérogations éhontées pour poursuivre le pillage des océans. »

Sur le banc des accusés

En matière de pêche au thon, la France est déjà sur le banc des accusés de la Commission européenne. Le 9 juin 2021, celle-ci annonçait le lancement d’une procédure d’infraction à l’encontre de la France pour non-respect des règles de l’UE visant à lutter contre la pêche illicite et pour non-contrôle des activités de pêche. Ce qui est surtout reproché à la France, c’est d’avoir publié en 2015 une circulaire autorisant les thoniers français à ne pas appliquer la marge de tolérance de 10 % par espèce de thon capturé, mais de l’appliquer sur la totalité des espèces pêchées.

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L’avantage pour la flotte tricolore est clair, car elle peut ainsi sous-déclarer le thon albacore très recherché et déclarer davantage d’autres espèces. Les armateurs français ont bien sûr des arguments à faire valoir. Tel l’impossibilité pour un capitaine d’estimer les captures espèces par espèces, car il n’y a pas de tri à bord. « Pour appliquer la directive européenne, il faudrait comptabiliser le thon au moment où il est remonté sur le bateau. Ce qui est impossible dans la mesure où il doit être congelé rapidement afin de garantir la qualité du produit », déclarait il y a quelque temps, le secrétaire général de la CGT des marins de Concarneau.

« C’est du grand banditisme »

Bref, patrons et syndicats sont d’accord pour affirmer que si le règlement européen était appliqué, ce serait signer l’arrêt de mort de la pêche française. Voilà pourquoi, la France mène actuellement une campagne d’enfer à Bruxelles pour étendre la marge de tolérance à l’ensemble des espèces, dans le cadre d’une renégociation en cours des droits de pêche. « Ce qui, au passage, régulariserait les fraudes passées. C’est du grand banditisme ! » s’émeut Claire Nouvian. Selon cette dernière, le recrutement de Anne-France Mattlet par Europêche ferait partie d’une stratégie commune entre l’administration française et les armateurs pour renforcer à Bruxelles le lobbyisme français en faveur d’une réglementation plus favorable. Le thon, ce n’est pas toujours bon !


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