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Prime de 300 euros pour les forces de l’ordre : « C’est une obole, une misère, des miettes »

Le témoignage de deux policiers sur le terrain lors des manifestations des « gilets jaunes » et des lycéens, montre que le malaise de la profession dépasse largement l’aspect financier. 

Le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, va revoir mercredi 19 décembre les syndicats de policiers qui expriment le malaise de la profession. La prime de 300 euros pour des fonctionnaires mobilisés ces dernières semaines par les mouvements des « gilets jaunes » et des lycéens semble loin de suffire. Les témoignages de deux policiers de base montrent que la colère et la souffrance sont profondes. 

Thomas travaille dans une brigade anticriminalité (BAC) en région parisienne et Harold exerce ses fonctions dans une compagnie de sécurisation et d’intervention. Ils se décrivent tous les deux comme « des flics de terrain », vivant en ce moment un rythme d’enfer. « Les deux derniers samedis, j’’ai été rappelé sur mes repos. On était affectés sur le maintien de l’ordre pour de l’interpellation et pour être une force d’intervention plus rapide que les CRS », explique le policier de la BAC. « Engagé tous les week-ends, sur de grosses amplitudes, de 6 heures jusqu’à 22 heures, jusqu’à plus soif. Il a fallu bien encaisser. Après ces samedis de manifestation, on enchaînait la semaine avec les lycéens, renchérit son collègue mobilisé sur les rassemblements des « gilets jaunes ». On est usés. » 

On est un peu moins vigilants, un peu plus sous tension. Il faut qu’on garde toujours le même sang-froid, le même discernement, tout en encaissant derrière les journées de manifestations de lycéens, où on se prend en plus des pavés, des quolibets.Harold, policierà franceinfo

Avec la fatigue, confie Harold, « ça atteint un peu plus l’homme qui est derrière l’uniforme. C’est un peu plus compliqué à gérer ».  

Mobilisés ces dernières semaines, ils considèrent la prime de 300 euros comme bien en dessous de ce qu’ils ont vécu. « Je suis bien content d’avoir cette prime-là. Après, j’ai fait quatre manifestations. Certains ont bien senti la vie passer de très près. 300 euros, c’est une obole, une misère, des miettes », lâche Harold.  

Christophe Castaner promet aussi d’ouvrir le chantier des heures supplémentaires qui représentent un montant de 275 millions d’euros dus. Mais des promesses, ils en ont entendues d’autres. « Quand on demande une bombe lacrymogène, une grenade ou un lanceur de balles de défense, on nous dit qu’il n’y a pas le budget », témoigne Thomas.

Là, 275 millions pour nos heures sup’ ? Il faudra qu’on nous explique d’où ils les sortent, s’ils y arrivent. On ne croit que ce que l’on voit.Thomas, policier de la BACà franceinfo

Il y a deux ans, Thomas manifestait sur les Champs-Elysées avec les policiers en colère. Malgré du nouveau matériel et quelques moyens supplémentaires, le malaise est toujours là. Pour lui, il faudrait bien davantage que des mesures ponctuelles. « Il faut révolutionner la police. On arrive au bout de ce que tout le monde peut faire, avec les moyens qu’on a et les effectifs qu’on a, explique-t-il. Il faut tout mettre à plat, se mettre autour de la table, mais avec les bonnes personnes, avec les acteurs de terrain pour que l’on prenne des décisions cohérentes et dans l’intérêt du pays et des citoyens », affirme-t-il.

Pour sa part, Harold regrette que certaines hiérarchies oublient la réalité du terrain. « Sur une manifestation, on a eu un commissaire de police qui n’avait aucune connaissance de ce qu’est le maintien de l’ordre pratique. Il n’avait qu’une connaissance d’école. Et à un moment on s’est retrouvés complètement perdus dans du gros maintien de l’ordre », témoigne-t-il.

S’ajoutent à ces doléances, des problèmes de logistique constatés sur une manifestation. « De 6 heures du matin jusqu’à 23 heures, on a eu droit à une petite bouteille d’eau, grâcieusement offerte par l’administration, poursuit Harold. Je comprends la nécessité d’avoir des ressources en permanence, mais en même temps du personnel qui n’est pas en capacité, parce qu’il a faim, soif, parce qu’il a envie d’aller aux toilettes, c’est du personnel qui n’est pas au top et qui, à un moment ou un autre, risque de blesser en face ou d’être blessé. » 

Il faudra sans doute bien plus que quelques heures de négociations pour dissiper ce malaise immense décrit par ces policiers.

Fatigue, colère et malaise dans la police – un reportage de Grégoire Lecalot

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