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Alunissage sur la face cachée de la Lune : « Une grande complexité technique mais une mission limitée scientifiquement »

L’astrophysicien Sylvestre Maurice fait le point sur premier alunissage jamais réalisé sur la face cachée de la Lune, effectué par la Chine. 

C’est une prouesse technologique inédite. La Chine a réussi, jeudi 3 janvier, le premier alunissage jamais réalisé d’un engin spatial sur la face cachée de la Lune. Le module d’exploration Chang’e-4, qui avait quitté la Terre le 8 décembre, s’est posé sans encombre à 10h26 heure de Pékin (3h26 heure de Paris). Pour comprendre la portée de cet alunissage, franceinfo a contacté l’astrophysicien Sylvestre Maurice (Institut de recherche en astrophysique et planétologie-Université de Toulouse-CNRS).

Franceinfo : Qu’entend-on par « face cachée de la Lune » ?

Sylvestre Maurice : Il y a deux mouvements principaux qui s’exercent : le mouvement de la Lune sur elle-même et celui autour de la Terre. Comme ces deux mouvements sont synchrones, une face est toujours cachée, même s’il n’existe pas de Dark Side of the Moon comme le chantent les Pink Floyd. La face cachée de la Lune compte deux ou trois mers de basalte, mais bien moins que la face visible. Il y a des cratères d’impact partout. Cette face cachée est très bien cartographiée. Les Soviétiques ont été les premiers à faire des photographies avec la mission Luna 3, en 1959, et la sonde américaine LRO fait aujourd’hui des cartographies d’une grande précision, avec plusieurs mètres de résolution.

Pourquoi cet alunissage est-il exceptionnel ?

On connaît bien cette mission qui consiste à poser un Rover, un petit robot, et à le faire évoluer à la surface de la Lune. Les Chinois, d’ailleurs, avaient déjà déployé un engin sur la face visible en 2013 : le Yutu (« Lapin de jade »). Cet alunissage-ci est d’une grande complexité technique car il faut rapatrier les données depuis cette face cachée. Cela suppose la présence d’un orbiteur relais [un satellite en orbite], positionné dans une configuration précise [qui lui permet de communiquer à la fois avec la face cachée et la Terre]. Je rappelle au passage que l’Europe n’a jamais réussi à se poser sur la Lune.

La région explorée comporte-t-elle un réel intérêt pour les chercheurs ?

Non. L’alunissage a eu lieu près d’un cratère bien connu, de 186 km de diamètre, qui se trouve au nord-ouest d’un autre cratère que l’on aimerait beaucoup étudier, lui. Cet énorme bassin d’impact – le bassin Pôle Sud-Aitken, appelé SPA – mesure 2 500 km de large et 13 km de profondeur, avec une excavation de la croûte vers le manteau. Ce site intéresse grandement la communauté scientifique car nous sommes toujours à la recherche de la structure interne de la Lune, afin de comprendre comment elle s’est refroidie. On aimerait donc pouvoir la sonder en profondeur et prélever des échantillons dans cette région. Ce serait un Graal. Mais cette mission Chang’e-4 n’a pas une énorme valeur ajoutée scientifique.

Pourquoi ?

Les Chinois ont ce besoin de faire ce que les autres n’ont pas encore fait. Cette nouvelle mission porte le numéro 4, ce qui témoigne d’une dynamique assez impressionnante, puisque la mission numéro 1 ne date que de 2007. D’un autre côté, les objectifs affichés par la Chine, comme étudier la culture de végétaux, montrent un manque de maturité scientifique. La communauté scientifique reproche donc à la Chine de ne pas profiter de cette prouesse technologique pour « faire de la science ». Pékin le sait et va bientôt lancer une mission Chang’e-5, bien plus intéressante, qui aura pour particularité de collecter des échantillons. On ignore encore la région concernée. Les Chinois sont entrés dans la cour des grands dans la conquête de la Lune. Ils ont remplacé les Russes aux côtés des Américains, tandis que les Européens, Indiens et Japonais comptent les points.


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