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Festival de Cannes 2021 : pour François Ozon, son film « Tout s’est bien passé » « laisse le spectateur libre de s’interroger sur son propre rapport à la mort »

François Ozon a adapté au cinéma le livre de la romancière et scénariste Emmanuèle Bernheim, Tout s’est bien passé. L’histoire : à 85 ans, son père, un célèbre collectionneur d’art, diminué et dépendant après un accident vasculaire cérébral, demande à sa fille de l’aider à mourir. Ce film a été présenté en sélection officielle du Festival de Cannes, en compétition le 7 juillet. Nous avons rencontré François Ozon sur une terrasse cannoise pour en parler.

Franceinfo Culture : la relation à la mort est présente dans certains de vos films, comme Sous le sable, Frantz, Le temps qui reste. C’est un thème important pour vous ?
François Ozon : Oui, c’est impossible de ne pas se poser la question de la disparition, la mort c’est quelque chose qui m’a toujours hanté. Là je me suis approprié l’histoire d’Emmanuèle Bernheim qui était une amie et qui m’avait raconté l’histoire. Elle m’avait demandé au moment où le livre est sorti si j’étais intéressé de l’adapter au cinéma. À ce moment-là, je ne me sentais pas prêt, c’était trop son histoire. Et donc il a fallu qu’Emmanuèle meure pour que finalement je me replonge dans cette histoire et que j’essaie de comprendre ce qu’elle avait traversé.

Pour Grâce à Dieu, qui aborde la pédophilie dans l’Église et qui était alors votre seul film politique, vous avez dit en avoir pris « plein la figure »…
(Rires)

… là aussi, dans Tout s’est bien passé on touche à un thème politique avec le suicide assisté.
En même temps ça a été très fort, Grâce à Dieu. Il y a eu effectivement des réactions violentes mais il y a eu beaucoup de réactions positives et je pense que le film a participé au débat sur la religion en France et beaucoup de gens ont pris conscience et l’Église même. J’ai appris que dans certains séminaires aux jeunes prêtres, on montre mon film. Mais évidemment les gens qui ont attaqué le film sont des gens qui ne l’ont pas vu. Parce que le film racontait une situation, il ne prenait pas partie. Enfin, si forcément il était du côté des victimes, mais c’est un film qui interrogeait.

Et pour Tout s’est bien passé ?
Sur ce film-là c’est la même chose : pour moi, c’est un film qui laisse le spectateur libre de penser et de s’interroger sur son propre rapport à la mort. Moi je ne sais pas ce que je ferais dans la situation d’Emmanuèle, je ne sais pas si je serais capable de faire ça, je ne sais pas si j’aurais envie. Donc voilà, je raconte une situation personnelle très particulière, dans une famille très particulière, et après c’est aux spectateurs… C’est le côté interactif du cinéma que j’aime bien, le spectateur se dit : ‘et moi qu’est-ce que je ferais ?’ Si mes parents, mon père, ma mère me demandent une chose pareille ?

Au-delà de votre relation à Emmanuèle Bernheim, avez-vous compris pourquoi vous avez voulu faire ce film ? Car ça vous oblige à vous interroger…
Bien sûr. Je ne sais pas. Souvent je ne sais pas pourquoi je fais un film. Mais je suis sûr d’un désir. Et c’est le désir qui est important, c’est le désir qui me mène. J’avais envie de raconter cette histoire, j’avais envie de travailler avec Sophie Marceau, qui est une actrice que j’aime beaucoup. Voilà, c’est suffisant. Vous savez, souvent c’est en voyant mes films cinq, six ans après, je me dis : ‘ah, j’ai peut-être fait ce film pour cette scène’. Mais là pour l’instant je ne sais pas.

Tout s’est bien passé aborde également beaucoup la relation père-fille. Qu’est-ce qui vous touche particulièrement ?
Ce que j’ai aimé, c’est que dans ce rapport père-fille, il y avait des sentiments très complexes. Il y avait beaucoup d’amour mais aussi beaucoup de haine, beaucoup d’énervement. Ce qui m’intéresse c’est la complexité, c’est l’ambiguïté, je n’aime pas les choses binaires. Et je trouve que la cruauté du père permet au film de ne pas tomber dans le pathos. Il dit à un moment quelque chose de très simple : « pas de pleureuses ». Du coup c’est un peu une manière de dire aux spectateurs : « pas de pleureurs ». Après je ne peux pas empêcher les gens s’ils veulent pleurer…

Comment avez-vous travaillé avec les comédiens ? Avez-vous été très dirigiste ?
Avec André Dussolier, on s’est beaucoup renseignés. On a eu la vidéo du père d’Emmanuèle réalisée par elle en référence : sur l’AVC, sur la manière de parler, de s’exprimer. Pour lui, c’était très important. André, je lui ai vraiment dit : amusons-nous. À un moment, c’est Tatie Danielle, le personnage est vraiment méchant, antipathique. Et en même temps drôle. André Dussolier est un grand acteur, c’est vraiment un Stradivarius. Donc il peut passer tout d’un coup d’une réplique désagréable à quelque chose de drôle. Et Sophie Marceau, je lui ai demandé d’être elle-même. Je la mettais dans une situation et moi j’étais un peu comme un documentariste qui la filmait un peu comme je l’avais fait avec Charlotte Rampling dans Sous le sable, c’est un peu la même expérience.

Vous parliez du grand désir que vous aviez de travailler avec Sophie Marceau. Qu’est-ce qu’elle vous évoque ?
C’est une actrice de ma génération, j’ai vu La Boum quand j’avais à peu près le même âge qu’elle. C’est une actrice avec laquelle j’ai l’impression d’avoir grandi. Elle m’a toujours intéressé, c’est une actrice populaire, qui dégage une forte empathie. Et j’ai tout de suite senti que cette empathie était nécessaire pour rentrer dans l’histoire, il fallait que le spectateur rentre avec quelqu’un qu’on aime a priori. Et Sophie est quelqu’un qu’on aime, on sent qu’elle dégage une humanité. Il y a sa beauté évidemment, mais il y aussi sa franchise. Et puis elle me rappelait d’une certaine manière Emmanuèle dans son côté physique, concret, pas dans l’intellectualisme, quelque chose de très sensoriel.

Parlons de l’humour qui est si présent dans le film…
En fait, l’humour c’est la vie. Pour moi, c’est un film du côté de la vie. C’est parce que André veut vivre qu’il décide de mourir, c’est tout le paradoxe. C’est parce qu’il aime la vie, c’est qu’il y a ça. C’est un peu comme quand on est à un enterrement, on prend une crise de fou rire, voilà, la vie continue. Il ne fallait pas être terrassé par la tristesse et par le morbide.

Que représente le fait d’être à Cannes pour vous ?
Cannes, c’est le temple du cinéma d’auteur, c’est l’endroit de la cinéphilie. C’est toujours un plaisir. Et je suis particulièrement content d’y être cette année avec ce film parce que souvent mes films qui y ont été sélectionnés étaient plus sulfureux, comme Jeune et jolie, comme L’amant double, comme Swimming pool. Là, c’est un film chaste, il n’y a pas de scène sexuelle, je suis curieux de voir ce qui va se passer.


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