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Coupe du monde 2022 : comment l’extrême droite tente de récupérer la balle sur le terrain politique

Les cadres du Rassemblement national et de Reconquête profitent de cet événement sportif à grande portée médiatique pour imposer leurs thèmes de prédilection, comme la lutte contre l’immigration et l’insécurité.

« Il ne faut pas politiser le sport », avait averti Emmanuel Macron au début de la Coupe du monde au Qatar. Un mois plus tard, le chef de l’Etat s’affiche aux côtés des joueurs de Didier Deschamps dans le vestiaire des Bleus. Et pour ne pas laisser le président être le seul gagnant d’un tournoi d’ores et déjà réussi pour l’équipe de France, les figures de l’extrême droite se font omniprésentes dans les médias, avant la finale contre l’Argentine, dimanche 18 décembre, à Doha. « Le fait qu’il y existe une forte dimension politique dans un événement mondial aussi important que la Coupe du monde de football ne surprend personne. C’est donc assez logique que le Rassemblement national et Reconquête sortent du bois pour exister », analyse le politologue Bruno Cautrès, contacté par franceinfo.

Le héros malgré lui des deux principales formations d’extrême droite porte le nom d’Olivier Giroud. Parce que blanc et chrétien, comme le rappelle Le Parisien, celui qui est devenu le meilleur buteur de l’histoire des Bleus est salué après chacune de ses prestations par les ténors du RN et les chefs de file zemmouristes, contrairement à d’autres joueurs. « Merci Olivier Giroud, merci Didier Deschamps, merci l’équipe de France », a ainsi écrit Jordan Bardella, le président du Rassemblement national, après la victoire contre l’Angleterre, oubliant au passage Aurélien Tchouaméni, auteur d’une splendide frappe lointaine.

Si le nouveau leader du parti s’est défendu, lundi 12 décembre, sur BFMTV, en rappelant qu’il a « remercié toute l’équipe de France », Eric Zemmour, lui, assume pleinement. Même s’il a pris soin « de féliciter toute l’équipe » dimanche sur le plateau de nos confrères de RMC, l’ancien candidat à la présidentielle a salué l’avant-centre tricolore, davantage pour ses convictions religieuses que pour ses performances sur le terrain. « Un des joueurs marocains a dédié sa victoire à l’ensemble du monde musulman. Imaginez-vous qu’Olivier Giroud puisse dédier sa victoire à l’ensemble du monde chrétien ? » a-t-il lancé, quelques jours après avoir posté sur Instagram un portrait du joueur, auteur d’un but contre la Pologne en huitièmes de finale. Et non de Kylian Mbappé, meilleur joueur du match et double buteur.

Au-delà de l’instrumentalisation d’Olivier Giroud, le Rassemblement national et Reconquête n’ont, en revanche, pas opté pour la même stratégie. Dans la lignée de la présidentielle, le parti de Marine Le Pen a décidé de poursuivre son entreprise de normalisation. Hormis le message polémique de Jordan Bardella, la députée du Pas-de-Calais et ses lieutenants se sont en effet contentés de féliciter l’équipe de France après chacune de ses victoires.

« On ne peux pas amalgamer Reconquête et le Rassemblement national, car ils ne parlent pas aux mêmes électorats », explique la politologue Virginie Martin, enseignante à la Kedge Business School à Paris. « Marine Le Pen sait très bien que le foot est un sport éminemment populaire et qu’il séduit les couches les plus modestes de la population, comme les ouvriers, les chômeurs ou les Français peu diplômés. Elle ne peut donc avoir le même discours qu’Eric Zemmour », ajoute-elle. Une analyse que partage le sociologue Erwan Lecœur, spécialiste de l’extrême droite : « Marine Le Pen laisse Eric Zemmour parler et elle récupère les marrons. C’est sa stratégie depuis près de 10 ans et elle veut la mener jusqu’au bout. »

« Dans cette Coupe du monde, le silence est le meilleur des alliés pour Marine Le Pen. Contrairement à Eric Zemmour, elle joue la nation. Elle est donc dans une stratégie non pas de contestation, mais de construction. »

Virginie Martin, politologue

à franceinfo

Pas de sortie donc pour le Rassemblement national sur les origines africaines de certains joueurs de l’équipe de France, comme avait pu le faire Jean-Marie Le Pen il y a quelques années, mais des critiques, nombreuses, sur la politique de maintien de l’ordre du gouvernement après les matchs. Au lendemain de la victoire du Maroc face au Portugal en quarts, plusieurs cadres du RN, à l’instar de Jordan Bardella, ont en effet dénoncé les débordements dans plusieurs villes françaises.

Du côté de Reconquête, on retrouve les mêmes outrances que lors de la dernière présidentielle. Quand le RN dénonce les débordements, Eric Zemmour, lui, fustige carrément « des émeutes et des pillages ». Le polémiste d’extrême droite va même plus loin et assure, dimanche 11 décembre, sur BFMTV, que « certains policiers sont tellement effrayés qu’ils sont même allés jusqu’à espérer que la France ne gagne pas pour qu’il n’y ait pas de match France-Maroc ».

« Comme Eric Zemmour continue de développer ses thèmes obsessionnels et civilisationnels, le Rassemblement national se contente que d’attaquer Emmanuel Macron sur la sécurisation du pays. C’est la poursuite de la dédiabolisation. »

Bruno Cautrès, politologue

à franceinfo

Pour Marion Maréchal, la vice-présidente exécutive de Reconquête, il y aurait même « un déficit d’intégration et d’assimilation en France » des binationaux franco-marocains. La nièce de Marine Le Pen, désormais proche d’Eric Zemmour, a dénoncé sur Europe 1, le 15 décembre, « l’état d’esprit revanchard et anti-européen (…) qui a pu être manié à l’occasion du match France-Maroc par un certain nombre de journalistes et de responsables politiques dans le monde arabe ».

La couleur de peau des joueurs de l’équipe de France figure également dans le viseur des zemmouristes. Toujours sur BFMTV, l’ancien éditorialiste s’est interrogé sur le fait que l’équipe de France se compose de « huit ou neuf joueurs de couleur noire ». Avant d’ajouter : « Si vous aviez neuf joueurs blanc dans l’équipe sénégalaise, je pense que les Sénégalais s’interrogeraient. (…) Il faut que l’équipe ressemble au pays, tout simplement. »

Pour le politologue Erwan Lecoeur, les récentes sorties d’Eric Zemmour, notamment à propos des supporteurs franco-marocains, n’expliquent pas directement les opérations menées par des groupuscules d’extrême droite après France-Maroc. Mais l’espoir qu’a levé l’ex-candidat à la présidentielle a incontestablement permis à l’ultra-droite de se fédérer à nouveau. « Eric Zemmour a redonné corps médiatiquement à la mouvance catholique intégriste et aux nationalistes purs et durs qui s’étaient perdus de vue depuis La Manif pour tous. Certes, la présidentielle a été perdue, mais ils pensent désormais qu’il faut agir dans la rue pour gagner la guerre raciale. »


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