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Coupe du monde 2022 : boom des naissances, croissance dopée… On a passé au crible les idées reçues autour d’un possible sacre mondial des Bleus

En cas de nouveau titre des joueurs de Didier Deschamps, dimanche contre l’Argentine, la France va-t-elle voir la vie en rose ? La réalité des chiffres ne dit pas tout à fait cela.

On peut l’affirmer sans douter : une nouvelle victoire des Bleus en Coupe du monde, dimanche 18 décembre face à l’Argentine, enverrait à coup sûr des milliers de Français euphoriques dans les rues, et une troisième étoile sur la tunique des hommes de Didier Deschamps. Mais qu’en est-il des autres vertus régulièrement prêtées à un succès dans la compétition reine du football ?

Depuis 1998, année du premier titre mondial des Tricolores, les observateurs les plus enthousiastes estiment qu’un tel sacre est susceptible de chambouler tout un pays. Au-delà de la joie collective, l’impact reste pourtant limité, du nombre de naissances à la popularité des dirigeants politiques, en passant par la croissance économique. Petit tour d’horizon.

Les naissances augmentent fortement neuf mois après un titre mondial : plutôt faux

Aux yeux de certains, une victoire en Coupe du monde déclencherait, par le truchement de la fête et de l’amour (et peut-être de l’alcool), une recrudescence de naissances neuf mois plus tard. « Est-ce que le succès sportif affecte le taux de natalité ? », se demandait en 2013 des scientifiques dans le British Medical Journal (en anglais), à propos d’une recrudescence de bébés en Catalogne, en 2010, après un parcours victorieux du grand FC Barcelone en Ligue des champions, l’année précédente.

« Les émotions humaines à grande échelle peuvent affecter profondément les fluctuations démographiques des populations. Des événements nationaux ou régionaux peuvent réduire le poids de la raison et augmenter le poids de la passion« , écrivaient les auteurs, toutefois prudents sur un hypothétique lien entre joie footballistique et hausse des naissances.

Malheureusement pour les amateurs de football et de démographie, le lien ne semble pas avéré, en tout cas après les victoires de la France. En avril 1999, neuf mois après le titre mondial de la bande à Aimé Jacquet, le nombre de nouveaux-nés n’a pas bondi par rapport aux autres mois de l’année, montrent les chiffres l’Insee. Les naissances étaient même moins nombreuses en avril 1999 (61 179) qu’en avril 1998 (62 217) et qu’en avril 2000 (62 469). Le second titre mondial des Bleus, en juillet 2018, n’a pas non plus déclenché un boom des naissances en avril 2019, avec quelques heureux événements de moins (55 652) par rapport à mars (56 592) et beaucoup moins qu’en mai (60 092) de la même année.

Les prénoms donnés aux nouveaux-nés s’inspirent davantage de l’équipe sacrée : en partie vrai

A défaut d’être plus nombreux, les nouveau-nés porteraient davantage les prénoms des joueurs de l’équipe de France, selon la croyance populaire. C’est en partie vrai : « France 1998 a incité des dizaines de milliers de parents à choisir pour leur bébé un prénom de champion du monde », assurent les professeurs Bastien Drut et Richard Duhautois dans leur ouvrage Sciences sociales Football Club, paru en 2015 et dont L’Equipe s’était fait le relais. 

C’est le cas du prénom Lilian, comme l’incontournable Lilian Thuram, auteur d’un doublé inoubliable face à la Croatie en demi-finale du Mondial 1998. Ce prénom, qui végétait à environ 200 bébés par an, est brusquement passé à 883 en 1998, pour atteindre 1 222 en 1999 et même 1 416 en 2006, année de la Coupe du monde en Allemagne. Des chiffres toutefois modestes, comme le notait en 2016 Baptiste Coulmont auprès de franceinfo. « Cela ne modifie pas radicalement le stock des prénoms : il y a quelques dizaines de naissances, mais ces prénoms ne deviennent pas du jour au lendemain des prénoms très donnés », tempérait le sociologue, spécialiste des prénoms. Quinze ans plus tard, en 2021, seuls 150 petits garçons ont été prénommés Lilian.

En 2018 et 2019, de nombreux parents ont expliqué dans les médias qu’ils avaient décidé d’appeler leur enfant Kylian (Mbappé), Paul (Pogba) ou Antoine (Griezmann), en référence aux héros de l’épopée tricolore en Russie. Cela s’est-il traduit dans les chiffres au niveau national ? Pas vraiment, comme le montrent là encore les statistiques de l’Insee. Seul le prénom Kylian a connu un regain de popularité à cette période, alors qu’il déclinait depuis un pic en 2007. Les autres ont, au mieux, stagné. 

La courbe de plusieurs prénoms des joueurs de l'équipe de France 2018, selon les chiffres de l'Insee. (INSEE)

La courbe de plusieurs prénoms des joueurs de l'équipe de France 2018, selon les chiffres de l'Insee. (INSEE)

L’exécutif tire profit des succès des Bleus avec des sondages en hausse : faux

La rumeur est tenace et revient à chaque fois que les footballeurs tricolores réalisent un beau parcours dans les grandes compétitions internationales – ce qui, convenons-en, est relativement fréquent depuis 25 ans. Ces succès rejailliraient sur l’exécutif, comme si les buts marqués sur le terrain par les joueurs l’étaient d’une certaine manière grâce à l’action du pouvoir en place. Certes, après le Mondial 1998 et l’Euro 2000, la cote de popularité du président Jacques Chirac avait bondi, gagnant jusqu’à 18 points, selon l’Ifop. Mais attention à ne pas confondre corrélation et causalité. 

Pour qu’un président et son gouvernement puissent profiter dans les sondages de l’euphorie qui s’empare de tout un pays, il faut plusieurs ingrédients. « Seul Jacques Chirac a pu bénéficier d’un effet Coupe du monde, parce que c’était une période de croissance, parce que la Coupe du monde se passait en France, et surtout, parce qu’il était moins en première ligne [en période de cohabitation]« , expliquait Frédéric Dabi à France 3 en 2018.

Cet hiver, entre une inflation au plus haut et une crise énergétique qui inquiète les ménages, les ingrédients d’un bond durable de popularité ne sont pas vraiment réunis. Parfois, d’autres éléments conjoncturels viennent perturber les desseins présidentiels. En 2018, Emmanuel Macron avait, comme le notait Ouest France, rapidement pâti de l’affaire Benalla, déclenchée seulement quelques jours après le sacre des Bleus. 

La croissance économique est boostée par cette victoire : faux

Une victoire des Bleus, en redonnant l’envie aux Français de consommer, pourrait-elle donner un coup de fouet à la croissance économique du pays ? Ce ne sera sans doute pas le cas, selon une note du cabinet d’études économiques Asterès publiée le 13 novembre. « Empiriquement, les résultats du football n’impactent pas significativement la consommation », expliquent les auteurs. Les statistiques montrent en effet qu’en 1998, 2000 (victoire à l’Euro) ou 2018, les succès de l’équipe de France n’ont pas provoqué de bonds notables de la consommation des ménages, que ce soit sur les dépenses d’hébergement-restauration ou sur le poste « autres produits industriels », qui comprend les dépenses d’ameublement et de téléviseurs.

Un graphique de l'évolution de la consommation et du pouvoir d'achat réalisé par le cabinet Asterès, d'après les chiffres de l'Insee. (CABINET ASTERES / INSEE)

Un graphique de l'évolution de la consommation et du pouvoir d'achat réalisé par le cabinet Asterès, d'après les chiffres de l'Insee. (CABINET ASTERES / INSEE)

En période de Coupe du monde, certains produits comme les maillots de football peuvent être en rupture de stock, ou la bière couler à flots. Mais cette hausse, limitée à certains secteurs, ne sera pas perceptible à l’échelle globale pour l’économie française.

« Le PIB de la France s’élève à 2 300 milliards d’euros, ce n’est pas quelques bières consommées dans un bar qui feront la différence », explique à franceinfo Sylvain Bersinger, économiste au cabinet Asterès. « Ce d’autant qu’on observe un effet de substitution : quand un ménage achète un téléviseur pour la Coupe du monde, il n’aura pas les moyens d’acquérir un autre bien, comme un frigo par exemple. »

Fondamentalement, la consommation des ménages est principalement liée à la conjoncture économique globale. « Quand la croissance économique était forte, comme de 1998 à 2000, la hausse de la consommation l’était aussi. À l’inverse, durant la crise économique de 2008-2009, la consommation s’est contractée, souligne le cabinet Asterès. L’évolution du pouvoir d’achat est un déterminant beaucoup plus convaincant de la consommation des ménages que les résultats du football », conclut le cabinet.

Le football français va profiter d’une victoire des Bleus financièrement : plutôt vrai

Au-delà de l’aspect honorifique et médiatique, un titre en Coupe du monde est une manne financière pour toute l’économie du football. Comme le rappelle L’Equipe, la Fédération française de football (FFF) recevra de la Fifa 28,5 millions d’euros si elle perd contre l’Argentine et 40 millions d’euros si elle est à nouveau sacrée. Ce pactole, la FFF prévoit de le reverser en partie au monde amateur, qui a vu éclore ces pépites couronnées et qui recevra au total un record historique de 101 millions d’euros cette saison.

La victoire des Bleus pourrait aussi déclencher des vocations chez les jeunes enfants attirés par le succès des Bleus, même si la saison 2022-2023 est déjà bien entamée et que les températures ne sont pas vraiment clémentes pour commencer le foot en plein hiver.

La question se pose différemment pour le monde professionnel. Bon nombre des joueurs de l’équipe de France évoluent dans des clubs étrangers et l’exposition du championnat de France (Ligue 1) hors de nos frontières, moins coté que ses voisins anglais ou espagnol, ne s’en trouvera pas forcément renforcée. En revanche, on pourrait assister, à l’instar de 2018, à une affluence plus grande dans les stades, comme le constatait après la deuxième étoile décrochée en Russie l’économiste du sport Pierre Rondeau, dans Slate. En 2018-2019, la fréquentation des stades hexagonaux avait d’ailleurs battu un record, notait L’Equipe.


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