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Takana Zion, reggae instantané

Le reggaeman guinéen Takana Zion vient de sortir l’album « Human Supremacy ». © Franck Blanquin

Activiste du reggae en Afrique et bien connu sur les scènes européennes depuis plus d’une décennie, le Guinéen Takana Zion s’est à nouveau envolé pour la Jamaïque afin d’y concevoir son nouvel album intitulé Human Supremacy, imprégné des valeurs originelles de cette musique popularisée par Bob Marley.

L’herbe a souvent tendance à être plus verte chez le voisin. Même lorsque celui-ci se trouve de l’autre côté de l’Atlantique. Par un curieux renversement, le tropisme du retour à la terre mère qui a nourri les chansons de tant de chanteurs jamaïcains a été remplacé chez certains artistes africains par le tropisme du retour à la source du reggae.

Comme ses illustres aînés ivoiriens Alpha Blondy et Tiken Jah Fakoly qui s’y sont rendus à de multiples reprises au cours de leur carrière respective, Takana Zion a fait le déplacement à Kingston pour son sixième album à vocation internationale. Le voyage n’est jamais banal pour un reggaeman, même s’il n’avait pas le goût de la découverte pour le chanteur guinéen qui l’avait déjà effectué au moment de Rasta Government paru en 2011, puis de Good Life en 2016.

Cette fois, il a voulu mettre à profit sa relation avec le singjay Sizzla, l’une des stars de Jamaïque auquel on l’a si souvent comparé depuis ses débuts. « Dans chaque métier, tu dois vénérer ceux qui sont là avant toi pour avoir une sorte de bénédiction de leur part. C’est la manière africaine d’aborder les choses. Sizzla, c’est une sorte de Dieu vivant pour moi, à travers tout ce qu’il représente et ce qu’il chante. Il a un respect pour l’Afrique que je ne peux pas expliquer avec des mots. Il était venu à Conakry en 2015, je lui avais montré qu’il faisait partie de ma famille et il m’a rendu la pareille en Jamaïque. Il m’a vraiment considéré comme son petit frère. Je passais chez lui tous les jours avant d’aller au studio, il m’emmenait à ses shows… », explique le trentenaire qui n’a guère eu de mal à convaincre le « parrain » de cet album d’y participer à travers le duo Energy.

Dans l’approche de ce projet qui a démarré en 2018 et respecte les codes du reggae sur le plan musical, Takana Zion a modifié un autre paramètre qui a eu « un grand impact » sur le résultat : le temps. Au lieu d’être sous la pression permanente d’un compte à rebours d’une semaine ou dix jours dès avoir débarqué à l’aéroport Norman-Manley, il a préféré se laisser un mois et demi. De quoi aborder l’entreprise avec davantage de sérénité, tout en continuant à donner à l’instantanéité sa part essentielle dans le processus d’enregistrement en Jamaïque. D’autant que la méthode lui convient tout à fait : le Guinéen fonctionne sans papier ni stylo pour ses chansons. « Écrire avant de chanter, pour moi, ce n’est pas la bonne formule », assure-t-il.

À l’exception de Jah Rastafari dans lequel il récite en soussou – langue parlée dans son pays – quelques versets de la Bible « dans la tradition de David », la quasi-totalité des textes présents sur ce nouvel album sont nés dans son esprit, une fois à Kingston. Cet éloignement géographique ne l’a toutefois pas coupé des préoccupations de ses compatriotes. « Ils sont des millions de jeunes Africains qui en ont en marre de rester chez eux, qui n’arrivent pas à trouver du travail. Alors il faut qu’ils s’en aillent », explique-t-il en français sur le morceau Dans l’Atlantique, évoquant les départs massifs et risqués vers l’Europe sur des embarcations souvent qualifiées de « bateaux cercueils » en raison des fréquents naufrages. 

Sur ce sujet, au-delà de la responsabilité de la classe politique (également visée par Dirigeants aveugles), Takana Zion pointe le « manque de compréhension » entre les générations dans sa société et reconnaît qu’il est « difficile de jouer les médiateurs » même s’il s’y emploie. En toile de fond, sa trajectoire personnelle : « Il a fallu que je fuie ma famille pour être ce que je suis. Mon père était un homme politique, deuxième vice-président de l’Assemblée nationale, membre fondateur du parti qui était au pouvoir », rappelle-t-il.

Élevé dans l’islam, il affirme avoir « profondément confiance en l’existence d’une force supérieure », mais dit s’être « libéré de la religion il y a 17 ans » après avoir observé le fossé entre les valeurs enseignées et celles pratiquées. « En tant que chrétien ou musulman, si tu n’arrives pas à aimer ton prochain, ce n’est pas la peine d’aller faire de la gymnastique à l’église ou la mosquée », estime Takana Zion. Human Supremacy, le titre de son nouvel album, reflète et résume ces considérations en totale cohérence avec la nature existentielle du reggae.

Takana Zion Human Supremacy (Soulbeats Music) 2021

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