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Coupe du monde 2022 : on peut être Français et soutenir l’Argentine

La passion pour une équipe nationale tient, contrairement à ce qu’affirment certains politiques, à de nombreux facteurs intimes parfois complexes.

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La selection argentine fete la victoire contre les Pays-Bas.
La sélection argentine fête la victoire contre les Pays-Bas.  © KIRILL KUDRYAVTSEV / AFP

Temps de lecture : 4 min

C’était le 13 juillet 1998. Au lendemain de la victoire historique des Bleus chez eux, la première Coupe du monde de l’équipe de France, une bande de vingtenaires s’entraîne sur un terrain vague près du métro Bir-Hakeim, au pied de la tour Eiffel. Encore en sueur, l’un d’eux file accompagner, appareil photo en main, la remontée des Champs-Élysées par les champions du monde. Fabien Barthez, Lilian Thuram, Laurent Blanc et Zinédine Zidane sont des héros. La France black-blanc-beur de Jacques Chirac exulte. Beaucoup de Français découvrent la passion du football. Leurs âmes de supporteurs. Avoir 20 ans durant l’été 1998, quoi de plus beau au monde ?

Vite, la bande de copains du terrain vague de Bir-Hakeim dépose les statuts d’une association loi 1901 et fonde un club de football : le Collectif Football Club (CFC). On y joue sur une moitié de terrain au foot à sept avec l’historique Fédération sportive et gymnique du travail (FSGT) qui organise des championnats amateurs durant l’année. Couleur des maillots : vert, en hommage aux Verts de Saint-Étienne, la région et la ville de cœur d’un des joueurs qui, petit, écoutait Dominique Roucheteau chanter faux « Allez les Verts ». Le CFC attire les amis d’amis passionnés de football et d’autres qui n’ont jamais touché un ballon. Entre troisième mi-temps arrosée et franche camaraderie, le club croît. Il a déjà une quarantaine d’adhérents, avec deux équipes engagées en compétition. Après la crise économique de 2001 en Argentine, un Argentin tout juste majeur cherche un club à Paris au football. Il débarque au CFC et devient leur attaquant. Quand il propose à ses nouveaux amis français d’aller découvrir l’Argentine avec lui, trois d’entre eux le suivent. Nous sommes en 2003. Trois Français découvrent l’Argentine, pays de la passion-football et de l’asado (barbecue). Deux d’entre eux y restent. Ils se marient chacun avec une Argentine.

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J’y vis de 2005 à 2015. J’en adopte la langue, le « porteño », les mœurs. Avec ma femme argentine, nous avons deux enfants. Des Argentino-Français plus que des Franco-Argentins. Ils naissent à Buenos Aires et parlent d’abord espagnol puis français. L’État argentin me donne une carte d’identité argentine. Grâce au football, j’ai connu ma femme, construit ma famille. Journaliste, j’ai suivi pendant dix ans la sélection argentine et les joueurs argentins qui évoluaient en Europe. J’ai côtoyé à la sortie des entraînements et des matchs Lionel Messi et sa famille de Rosario. Lisandro Lopez, Sergio Agüero, Gonzalo Higuaïn que j’ai fait poser avec mon maillot bleu pour un quotidien français avant qu’il ne refuse la convocation de Raymond Domenech avec les Bleus, Paulo Dybala, Angel di Maria… Interviewé des Argentins qui ont marqué l’histoire du football français : Carlos Bianchi, Marcelo Gallardo, Jorge Burruchaga, Oswaldo Piazza… Ce fut un privilège de côtoyer ces joueurs et ces entraîneurs dans leurs stades ou sur les terrains d’entraînement de l’AFA, la Fédération argentine, le long de l’autoroute qui mène à l’aéroport international de Buenos Aires. Cela me conduit naturellement à vibrer avec ceux qui jouent ce dimanche la finale de la Coupe du monde contre la France au Qatar.

Le football rythme la vie

En 2006, pour la première fois de ma vie, je m’abonne à un club de football et deviens le seul « socio » français du Club Atlético de Independiente, équipe de la banlieue de Buenos Aires où joue alors mon idole Sergio Agüero. Independiente, « el Rojo », possède tous les ingrédients parfaits pour un supporteur de football. Son stade, l’un des premiers en béton d’Amérique du Sud, est une enceinte accueillante et familiale. Tout autour de la pelouse, les fidèles avec enfants, en couple ou entre amis, déambulent debout au milieu des drapeaux et des fumigènes. À Avellaneda, banlieue modeste du sud de Buenos Aires, la capitale où les habitants n’ont d’yeux que pour les éternels rivaux Boca Juniors et River Plate, le football rythme la vie. Le stade d’Independiente ne se situe qu’à 300 mètres de son rival, son « ennemi » footballistique, le Racing. De quoi pimenter de vrais « classicos », ces derbys à la vie à la mort au pays de Diego Maradona.

Argentine-France, c’est la finale rêvée depuis des années. Il n’est pas contradictoire de pleurer en 2006, quand la France perd en finale de la Coupe du monde contre l’Italie aux tirs au but, et aussi en 2014, quand l’Argentine s’incline face à l’Allemagne 0-1 dans les prolongations. On peut aimer deux nations quand on a des liens très forts avec les deux. Ce dimanche 18 décembre 2022, je fêterai chaque but de cette finale. Les Français comme les Argentins. Personne n’ignore que c’est la dernière Coupe du monde de Lionel Messi. Il la mérite. Antoine Griezmann, Kylian Mbappé et Hugo Lloris en ont déjà une. L’Argentine n’a pas gagné depuis Diego Maradona, il y a déjà 36 ans. Elle a depuis perdu depuis deux finales, deux fois contre l’Allemagne, en 1990 et en 2014. Aujourd’hui, mon cœur tiraillé entre deux nations penche un peu plus pour l’Argentine. La passion pour une équipe tient, contrairement à ce qu’ont pu affirmer plusieurs politiques, à trop de facteurs pour basculer logiquement dans un camp ou un autre. Alors, oui, on peut être « bi » et soutenir deux équipes de cœur. Chantez « Allez les Bleus » et cinq minutes après « Oh ! Argentino ! Es un sentimiento que no puedo parar ». Pour l’amour du jeu et l’amour de deux pays. Que le meilleur gagne !


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